Invitée par le HDP (Parti Démocratique des Peuples) de Gaziantep à venir observer les élections législatives du 1er novembre en Turquie, précipitées par l’AKP et Erdogan, pour retrouver au parlement la majorité absolue qu’ils avaient perdue lors des élections du 7 juin, la délégation de cinq représentants du CSPK (Collectif de Solidarité avec le Peuple Kurde) est rentrée à Toulouse hier, mardi 3 novembre. Elle a tenu une conférence de presse à la Bourse du Travail, dont voici les conclusions :
La ville de Gaziantep, ville cosmopolite (Turcs, Kurdes, Arabes…) en plein boom économique, située à la frontière turco-syrienne au nord d’Alep, compte 2 millions d’habitants, auxquels il faut ajouter 800 000 réfugiés syriens ayant fui la guerre et la misère dans leur pays. Lors des élections du 7 juin dernier, le HDP y avait obtenu 15,8 % des suffrages et gagné deux députés sur les douze que compte la circonscription électorale. Dimanche 1er novembre, les résultats officiels ne lui accordent plus que 10,5 % et un seul député, la perte de la deuxième députée revenant à l’AKP, qui passe de 6 à 8 députés, gagnant l’autre sur le MHP, qui ne conserve qu’un député, les deux autres revenant au CHP (2), à l’identique de sa représentation parlementaire du 7 juin.
La délégation du CSPK a pu visiter 250 bureaux de vote environ, répartis sur 10 écoles et collèges dans deux quartiers populaires de la ville : Şehit Kamil et Şahinbey. Dans le deuxième, elle a été empêchée de visiter 3 écoles par la police turque.
Elle a pu constater deux irrégularités majeures de nature à entacher la sincérité du scrutin dans 8 des 10 écoles auxquelles elle a eu accès sur la trentaine d’écoles accueillant les bureaux de vote que compte la circonscription :
1 / Une présence policière, dont certains fonctionnaires armés, démesurée aux abords, au portail d’entrée, dans la cour, à l’entrée des bâtiments, et jusqu’aux étages et couloirs donnant accès aux salles de classe où étaient installés les bureaux de vote, alors que la loi électorale turque, elle-même, n’autorise une présence policière qu’à 500 mètres des lieux de vote.
2 / Une propagande électorale de l’AKP illégale le jour d’un scrutin, nombreux de ses sympathisants et adhérents, électeurs mais aussi assesseurs et présidents des bureaux de vote, arborant à la boutonnière de leurs vêtements des stylos orange (la couleur de l’AKP).
Outre ces irrégularités constatées le jour du scrutin, c’est toute la campagne électorale du HDP de Gaziantep qui a été émaillée d’entraves à sa liberté d’expression :
1 / Il a dû annuler son meeting électoral public programmé pour le 18 octobre avec ses co-présidents nationaux, craignant que ne s’y reproduise l’attentat criminel d’Ankara du 10 octobre, remplacé par une réunion privée dans un hôtel.
2 / 27 000 électrices et électeurs, parmi lesquels de nombreux votants HDP du 7 juin, ont été radiés des listes électorales après leur révision par les autorités en septembre et octobre.
3 / 310 militantes et militants du HDP de Gaziantep ont été arrêtés, mis en garde à vue ou détenus, durant la campagne électorale, dont 17 l’avant-veille du scrutin, le vendredi 30 octobre, alors que leurs noms figuraient sur la liste des scrutateurs des bureaux de vote déposée en préfecture. S’ils ont malgré tout pu voter le dimanche, c’est encadrés par des policiers et menottés, qu’ils ont exercé leur droit électoral.
Comment parler de scrutin démocratique dans ces conditions ? A Gaziantep, comme partout en Turquie, c’est de putsch électoral qu’il s’est agi le 1er novembre. La répression de masse contre le HDP et ses électeurs par l’Etat turc, prolongée par les tueries attribuées à Daesh et instrumentalisées par l’AKP, a incontestablement favorisé le projet d’Erdogan de retrouver sa majorité absolue au parlement. En revanche, elle n’a pu affaiblir la résistance populaire démocratique qui a empêché que l’AKP ne réalise son deuxième objectif : faire passer le HDP en dessous des 10 % des suffrages, barrage électoral en dessous duquel il aurait perdu sa représentation parlementaire. Les 59 députés du HDP, dont 23 femmes, continueront à faire entendre la voix de la démocratie et de la liberté des peuples, la voix de la justice sociale et de l’écologie, la voix de l’égalité des genres et des LGBTI au parlement turc.
Le CSPK constate que l’Elysée et le ministère français des affaires étrangères sont restés prudents dans leur communication depuis dimanche, s’abstenant de féliciter le dictateur Erdogan pour son « succès » électoral. C’est le moins qu’on pouvait attendre. Une dénonciation claire et nette de son putsch électoral serait mieux venue. A l’instar de celles du Conseil de l’Europe, qui a déclaré que « la campagne a été marquée par beaucoup trop de peur et la peur est l’ennemie de la démocratie », et de l’OSCE, qui avait des observateurs sur place, pour laquelle « la campagne a été ternie par la violence » qui a « entravé les capacités des candidats à mener une campagne libre », une campagne électorale « inéquitable » pour les partis d’opposition.
Toulouse, le 4 novembre 2015