Revue L’Anticapitaliste n°125 (avril 2021)
À un an de la présidentielle, le NPA s’apprête à se présenter aux élections régionales en Nouvelle Aquitaine et en Occitanie en alliance avec La France insoumise. Il sera absent de la scène électorale dans les autres régions. Après des mois de pandémie, dans un contexte d’offensive du patronat contre nos emplois, face à la crise climatique et environnementale, cette élection pourrait être un moment politique important pour poser les jalons d’une représentation politique de celles et ceux qui luttent au quotidien contre le capitalisme.
Dans l’histoire, les partis ouvriers révolutionnaires, quand ils en avaient la possibilité, se sont toujours posé la question de la participation aux élections. Cette participation a été importante dans la construction de la conscience de classe, de la classe pour soi. Les élections, la lutte des partis face aux masses, sont une arène dans laquelle les divergences de classe peuvent s’éclaircir… ou se brouiller. C’est pourquoi la question de l’indépendance de classe comme du rapport aux institutions de la bourgeoisie, à l’État, ont toujours été au centre des débats.
Pour les communistes des premiers temps de la 3e Internationale, contrairement aux anarchistes, la participation aux élections n’est pas rejetée, ni le travail dans les parlements. La tactique électorale et parlementaire est par contre conçue comme un travail secondaire, soumis à l’action extra-parlementaire. Les élections comme l’activité des élus servent de tribune pour regrouper la classe ouvrière et orienter son action révolutionnaire dont la destruction du parlementarisme fait partie. Les élus sont entièrement placés sous le contrôle du Parti. [1]
En France, plus d’un siècle de démocratie bourgeoise a vu se succéder les compromissions des appareils réformistes qui se sont peu à peu intégrés à l’ordre capitaliste. Des votes de crédits de guerre en 1914 à la participation à des gouvernements de collaboration de classe en 1936 et 1945 ou plus récemment dans la gauche plurielle, les organisations du mouvement ouvrier traditionnel se sont fondues dans la gestion du système capitaliste. La dernière mandature du « socialiste » François Hollande aura été celle d’une offensive libérale contre le droit du travail avec, notamment, la loi El Khomri.
Pour les courants de la gauche marxiste révolutionnaire en France, la participation aux élections de façon indépendante des organisations réformistes est relativement tardive et n’a connu que peu de succès en dehors de la période 1995-2007 où l’addition de résultats de la LCR et de LO a oscillé entre 4 et 10%. Quelques élus avaient alors été obtenus par ces deux organisations dans les parlements européens et certains parlements régionaux. Pour ce qui est de la LCR, ces éluEs ont joué un rôle important pour donner de la visibilité politique aux révolutionnaires allant jusqu’à la présentation d’Olivier Besancenot à l’élection présidentielle de 2002.
Le retournement de conjoncture à la fin des années 2000 a fait refluer fortement les scores du NPA qui succédait à la LCR. Les éluEs aux élections européennes de 2009 sont ratés de peu et les élections régionales suivantes seront marquées par de faibles résultats. En 2012, l’échec aux élections législatives a retiré tout financement de l’État. À partir de ce moment, la présence électorale du NPA en dehors de l’élection présidentielle est devenue marginale tant le coût des élections s’avère élevé.
Nous sommes convaincuEs que les élections ne changeront pas la vie des prolétaires. Seule l’action radicale des masses, sur les lieux de travail, dans la rue et dans la cité pourra renverser la domination capitaliste. Bien souvent dans l’histoire, les élections ont servi à ramener les révoltes dans le cadre des institutions, lieu de trahison des directions du mouvement ouvrier qui n’ont pas su conserver leur indépendance en se fourvoyant dans la gestion du système.
Mais pour nous, les élections peuvent être une tribune et un lieu d’affrontement entre partis qui représentent des classes sociales aux intérêts divergents. C’est un moment où les revendications immédiates des exploitéEs et des oppriméEs sont portées à une échelle de masse tout en étant articulées à la remise en cause du système capitaliste. Au-delà d’une liste de revendications, une campagne électorale essaye de poser la question du pouvoir, de qui dirige la société et dans quels intérêts.
Quand les travailleuses et les travailleurs sont massivement en lutte, organiséEs, dans des organes indépendants des institutions, cette tactique est très secondaire. Mais en période de reflux, de faible activité des masses, les campagnes électorales sont des échéances dont les révolutionnaires peuvent se saisir.
Enfin, l’élections de militantEs révolutionnaires peut également avoir de l’importance. Les éluEs peuvent être des points d’appuis pour dénoncer les mauvais coups qui se préparent, pour donner le la voix aux luttes sociales comme au programme anticapitaliste mais aussi pour combattre le parlementarisme à l’intérieur même du parlement.
« Il est indispensable d’avoir constamment en vue le caractère relativement secondaire de cette question [de l’activité parlementaire]. Le centre de gravité étant dans la lutte extraparlementaire pour le pouvoir politique, il va de soi que la question générale de la dictature du prolétariat et de la lutte des masses pour cette dictature ne peut se comparer à la question particulière de l’utilisation du parlementarisme.
C’est pourquoi l’Internationale communiste affirme de la façon la plus catégorique qu’elle considère comme une faute grave envers le mouvement ouvrier toute scission ou tentative de scission provoquée au sein du Parti communiste par cette question et uniquement par cette question. » [2]
L’intervention dans les élections est donc une tactique pour les révolutionnaires. Tactique inféodée à des objectifs plus larges de renversement du capitalisme. Quand les révolutionnaires sont trop faibles pour se présenter seulEs, la question de faire des alliances avec des organisations réformistes peut se poser. Dans ce cas-là, nous définissons plusieurs conditions à ces alliances.
La première est celle du rapport de force entre réformistes et révolutionnaires. En effet, ce rapport de force ne doit pas être en faveur écrasante des réformistes, auquel cas, un renoncement ne leur coûterait pas très cher. Ce rapport de force n’est pas uniquement électoral. Il est à la fois symbolique (comment sont perçus les révolutionnaires par les masses) et numérique (les révolutionnaires sont-ils suffisamment implantés pour exercer une pression sur l’accord). Il ne s’agit donc pas ici d’une condition strictement quantifiable. Elle est liée aux relations loyales qui ont pu se construire dans les luttes, les organisations de masses, entre militants d’organisations différentes qui ont appris à travailler ensemble.
À cela, s’ajoutent des conditions d’ordre programmatique. Dans le cadre d’alliances, il n’est pas possible de défendre des axes programmatiques qui seraient contradictoires avec le programme anticapitaliste. Cela ne veut pas dire que l’ensemble de notre programme doit être présent, mais qu’aucune mesure avancée ne doit renforcer le pouvoir des capitalistes à contrôler la société. Plus encore, nous pensons qu’il est indispensable que dans le cadre d’alliances avec des réformistes sincères, que le programme défendu comprenne des mesures qui s’en prennent à la propriété privée et, dans le cadre d’élections nationales, à l’État.
Enfin, dans une situation historique ou une partie des organisations se revendiquant de la « gauche » s’est fourvoyée dans la gestion libérale et autoritaire du capitalisme, il est indispensable d’avoir une ligne de démarcation stricte vis-à-vis du PS et de ses satellites.
Cette tactique électorale a été expérimentée dans la période récente par le NPA dans le Sud-Ouest. D’abord aux municipales. À Toulouse, le NPA a discuté avec le Parti de Gauche mais l’accord a échoué car La France insoumise a fait le choix de l’alliance avec EELV. Pendant la grève sur les retraites, cet accord correspondait à mettre sur la même liste des militants de la grève côté France insoumise et des politiciens d’EELV qui ne combattaient pas la réforme de Macron. C’est dans cette situation que le NPA a fait le choix de construire une liste indépendante, « Toulouse Anticapitaliste » conduite par Pauline Salingue. Le même type de choix a été adopté à Poitiers avec la liste « Poitiers Anticapitaliste » animée par Manon Labaye.
À Bordeaux, la situation au moment des municipales a été différente. La construction de « Bordeaux en Luttes » (BEL) a permis de construire une liste qui rassemblait, à partir des luttes quotidiennes, syndicales, Gilets jaunes, féministes, écolos… des militants de La France insoumise, du NPA et des mouvements sociaux. Cette liste, animée notamment par notre porte-parole Philippe Poutou, a marqué la campagne municipale bien au-delà de la Gironde. Avec plus de 10% des suffrages, en se maintenant au second tour, BEL représente une expérience inédite de regroupement de la gauche qui lutte, sans aucun compromis avec le système, en s’adressant directement aux couches populaires.
À Perpignan, face à la montée de l’extrême droite, le NPA s’est allié au premier tour avec La France insoumise et le PCF dans une ville qui a été conquise par Alliot et le Rassemblement national.
C’est sur la base de ces expériences électorales récentes que le NPA a abordé les élections régionales en Aquitaine et en Occitanie-Pays catalan. Si les situations locales sont en partie différentes dans les deux régions, avec notamment une menace de victoire du RN en Occitanie, les mêmes orientations y ont été développées : interpellation des organisations de gauche qui luttent contre Macron et son monde, délimitations par rapport aux sociaux-libéraux qui gèrent les exécutifs sortants, éléments programmatiques de rupture avec le système. Un accord est forcément un compromis. Le NPA n’aurait sûrement pas formulé les choses dans les mêmes termes, mais l’essentiel y est présent, notamment sur certaines questions comme la solidarité avec les migrantEs.
Ainsi, nous nous apprêtons dans ces deux régions à mener campagne, sur des bases anticapitalistes, en articulant mesures concrètes autour des champs de compétence des régions et propagande générale, programme pour les luttes. La région c’est le développement économique, les lycées, le train régional… autant de compétences qui concernent les travailleurs/ses et la jeunesse et qui vont permettre d’avancer les idées anticapitalistes à une échelle de masse.
Nous le répétons, un accord électoral est tactique. Le NPA garde son indépendance politique et organisationnelle tout en s’alliant parfois avec d’autres organisations. En Aquitaine comme en Occitanie-Pays catalan, l’accord aux élections régionales n’implique pas d’accord pour les élections présidentielles. Cela va peut-être mieux en le disant !
La présidentielle sera la prochaine échéance électorale qui succèdera immédiatement aux élections régionales. Cette élection a un caractère particulier dans le cadre des institutions de la Ve République. Elle pose la question du pouvoir d’État mais également de l’impérialisme français. Face au duel annoncé Macron-Le Pen, Jean-Luc Mélenchon veut se présenter comme seule alternative possible. Il se pose ainsi en rassembleur en expliquant qu’il est capable de s’allier aux régionales tantôt avec le NPA dans le Sud-Ouest, tantôt avec le PS dans le Nord. Mais pour nous, c’est un tout autre bilan que nous pensons pouvoir tirer. En regroupant la gauche qui lutte, anticapitaliste, indépendamment des sociaux-libéraux, nous pouvons participer à regrouper notre classe sociale autour d’un programme de combat et à renforcer l’envie de se battre contre le système. C’est tout l’enjeu de la situation et c’est pourquoi le NPA doit se préparer dès aujourd’hui à porter cette orientation autour d’une candidature anticapitaliste et révolutionnaire en 2022.
Sylvain Pyro