Par Lorelei, le 3 septembre 2015
L’éducation populaire, courant de pensée visant l’amélioration du système social par l’éducation hors des institutions habituelles et reconnues, est née quasiment en même temps que l’industrialisation et le développement du capitalisme au milieu du XIXème siècle. A cette période, l’éducation du peuple par le peuple est une nécessité et une alternative pour défendre la laïcité, pour permettre à chacun de s’épanouir et de trouver une place dans la société.
Le mouvement d’éducation populaire reconnaît à chacun la volonté et la capacité de progresser et de se développer, à tous les âges de la vie. Il ne se limite pas à la diffusion de la culture académique mais accorde l’importance à la culture dite populaire (culture ouvrière, des paysans, de la banlieue, etc.). C’est un mouvement de résistance, bâti sur des valeurs (émancipation, respect de l’autre, solidarité …).
Outre le mouvement, il s’agit d’un agrément « Jeunesse et Éducation Populaire » crée en 1943 par le régime de Vichy. Son fonctionnement autonome passe alors à un fonctionnement dépendant de subventions étatiques, où l’animation politique est déléguée à des salariés (professionnalisation). Résultats : courses aux marchés publics et assujettissement aux politiques économiques et sociales.
L’outil devient limité dès lors que les instances se réclamant de l’éducation populaire cherchent la reconnaissance des institutions étatiques qui sont devenues indispensables à leur fonctionnement.
On assiste à la disparition de l’autogestion associative, à une professionnalisation entraînant la précarité des salarié-e-s et la mise en concurrence des associations.
Au regard de la crise économique, de l’austérité, des droits bafoués par les gouvernements, nous avons besoin d’une éducation populaire autogérée et indépendante des institutions.
Le secteur représente environ 50 % des associations existantes pour un budget de près de 18 milliards d’euros, 680 000 salariés et 6 millions de bénévoles*.
Les plus grosses structures du secteur (parmi lesquelles la Ligue de l’Enseignement, les CEMEA, les FRANCAS, Léo Lagrange), bien installées dans l’économie française, n’ont pas pour ambition de renverser le système mis en place. Elles sont « prisonnières » de leurs frais de fonctionnement.
Elles sont tombées dans le piège de la professionnalisation de leurs secteurs d’intervention. L’animation politique est déléguée à des salarié-e-s et qui dit salarié-e-s dit exploitation. Sous prétexte d’une action militante, la position des salarié-e-s est compliquée : ils acceptent volontiers de faire des heures supplémentaires non rémunérées au nom de l’engagement politique. Les animatrices et animateurs de centres de loisirs ou de séjour adaptés sont surexploités. Proportionnellement au nombre d’heures travaillées, le salaire est dérisoire.
Les salarié-e-s revendiquent peu leurs droits car ils/elles vivent « une bizarrerie ». L’animation, considérée comme un engagement au service des enfants, est en réalité au service de structures « dépolitisées », prestataires de services.
Les employeurs exigent une posture professionnelle et les sacrifices d’un engagement militant. Ce dévouement est même contractualisé : le Contrat d’Engagement Educatif (crée en 2006) a pour particularité de ne pas relever du code du Travail mais du Code de la Famille (juridiquement hybride et très contesté). Ce contrat permet de contourner le droit du Travail. D’une durée extensible (plafond de 48 heures hebdo, contrats signés par une ou un employé ne pouvant excéder 80 jours sur 12 mois…), et ayant un temps de repos rétractible (un jour hebdo et 11 heures consécutives minimum), il donne lieu à une rémunération au forfait. Avec 21,40€ par jour, une animatrice ou un animateur qui fait une journée de 12 heures est donc rémunéré moins de 2€ de l’heure !!
A cela s’ajoute une possibilité pour l’employeur de rompre le contrat pour « impossibilité pour le titulaire de continuer à exercer ses fonctions » donc pour cause de maladie ou d’accident par exemple.
Au niveau national
En 2014, la réforme des rythmes scolaires augmentant les temps périscolaires a ouvert un nouveau marché. Les structures y ont répondu les unes contre les autres (sans se soucier des difficultés rencontrées par les plus petites).
Le secteur de l’éducation populaire ne sait pas négocier les conditions nécessaires au bon déroulement des activités surtout en matière de gestion du personnel. Et ce sont les animatrices, les animateurs, les enfants et tous les militant-e-s de l’éducation populaires qui en subissent les conséquences.
La mise en concurrence entre associations engendre des licenciements économiques au sein des associations et des transferts de salarié-e-s à chaque non renouvellement de marché. Concrètement les équipes d’animation de centres de loisirs et de CLAE [Centres de loisirs associés à l’École] changent d’employeurs et les personnels encadrants, administratifs et pédagogiques sont licenciés pour raisons économique.
Les structures se réclamant de l’éducation populaire doivent également lutter contre toutes ces politiques et revenir à une forme de militantisme autogéré. Ceci est possible. Par exemple, les structures peuvent refuser le système de marchés publics et passer à des conventions. Solidaires-Isère a dénoncé le CEE [Contrat d’engagement éducatif], a augmenté le forfait journalier et a instauré l’égalité salariale entre directeur et animateurs…
A Toulouse
Les marchés des CLAE et ADLP (Accueils de Loisirs de Proximité) ont été remis au marché cette fin d’année scolaire. Résultats : pertes de CLAE pour les FRANCAS et La Ligue de l’Enseignement (qui va mettre un plan de licenciement économique en place). Les contenus de ces appels d’offre reflètent bien la politique de la ville.
Les mercredis, les taux d’encadrement des centres de loisirs s’alignent à ceux des CLAE qui avaient diminués en septembre 2014 en passant de 1 animateur-trice pour 12 enfants à 1 animateur-trice pour 14 enfants. Les Zones d’Education Prioritaire (aujourd’hui Réseaux d’Education Prioritaire) ne bénéficient plus de taux supérieurs aux autres quartiers de la ville.
Ils sont également réduits durant les vacances scolaires.
Les associations ne peuvent donc pas remplacer les salarié-e-s qui quittent les associations dès la rentrée. Il s’agit également ici d’une attaque contre l’éducation populaire, à l’essence même du courant, car comment travailler en CLAE ou ADLP dans de bonnes conditions lorsqu’il peut arriver qu’il y ait un(e) animateur-trice pour 28 enfants (par exemple lors d’une absence pour enfant à soigner ou maladie). Comment faire des activités de qualités, un vrai travail pédagogique permettant la transmission de valeurs ?
Les mesures votées par la municipalité de Toulouse en avril s’appliquent ce 1er septembre 2015.
Il n’y a plus de service non-payant à la Mairie.
Après avoir abandonné la gratuité de la cantine et augmenté les tarifs des CLAE (ce qui engendre la fin de la prise d’un repas chaud et équilibré et de l’accès au CLAE pour certains enfants), la Mairie augmente les tarifs des garderies, des sorties extrascolaires, et supprime de nombreux contrats d’Auxiliaires de Vie Scolaire (AVS) qui aident à la scolarité d’enfants en situation de handicap. Ceci est une attaque qui exclut et stigmatise les plus faibles et les plus défavorisés.
L’austérité façon Moudenc atteint également quasiment toutes les associations sportives et culturelles de la ville. Les baisses de budget mettent en péril les MJC et encouragent les petits clubs de sport à chercher des financements privés. On n’assiste pas seulement à la baisse des subventions aux associations co-financées par la Mairie mais également à l’expulsion de Vélorution (association d’entraide entre cycliste).
Le message est clair : il n’y a pas de place pour les associations militantes et autogérées. Les coupes budgétaires engendrent moins de services à la population avec la suppression d’emplois saisonniers par exemple (bibliothèques et piscines fermées ou à créneaux d’ouverture restreints durant l’été).
Les conditions de vie des Toulousains vont s’en trouver fortement dégradées.
Certes la baisse des dotations aux collectivités locales est scandaleuse car c’est une manière sournoise de reporter sur celles-ci les conséquences de la politique du gouvernement. Mais comment une baisse de 12 millions de la subvention d’Etat à la ville de Toulouse peut justifier le vote d’une hausse de 30 millions d’euros d’impôts locaux en 2015, d’une hausse généralisée des tarifs publics et des baisses de subventions aux associations ?
Il est nécessaire d’organiser la riposte face à la multiplicité de ces attaques tant au niveau local que national, contre les politiques de droite version Moudenc comme contre celles de « gauche » version Valls-Hollande.
Les luttes doivent converger. Les organisations associatives, politiques, syndicales, les parents d’élèves, les militant-e-s d’éducation populaire, tou-te-s les individu-e-s qui veulent se battre contre l’austérité doivent se rassembler à la rentrée pour inverser le rapport de force.
* Chiffres donnés par le CNAJEP (regroupement de structures d’éduc pop)