La politique d’Airbus dans le cadre de l’épidémie de COVID-19 et du confinement est plutôt difficile à lire. D’un côté, les avions passagers sont cloués au sol dans leur écrasante majorité, et les compagnies aériennes et les loueurs ne savent plus quoi en faire. Les clients, dans leur majorité, ne souhaitent pas réceptionner de nouveaux appareils lors de cette période compliquée. D’un autre côté, de manière totalement incompréhensible, la direction d’Airbus essaie, après un arrêt pendant 4 jours, d’imposer la reprise de la production des avions, dans le plus grand site industriel de France, en augmentant inutilement le risque de contamination de ses salarié.e.s et de toute la collectivité environnante.
Et cette politique se poursuit alors même que le PDG Faury a annoncé à la presse, mercredi 8 avril, qu’Airbus allait réduire les cadences de fabrication de ses avions de 33 % les prochaines années (40 A320 mensuels au lieu de 60, 6 A350 au lieu de 10, 2 A330 au lieu de 3...). Annonce justifiée non par la nécessité de revoir l’organisation du travail dans les usines pour respecter les mesures sanitaires mais par les nombreuses demandes de report de livraisons par des compagnies aériennes dont les trésoreries sont très impactées par le quasi arrêt du trafic aérien*.
Jouant le chantage à l’emploi, du fait des difficultés financières que pourrait engendrer cette situation, et usant de la complicité des organisations syndicales majoritaires (FO, CFE-CGC et CFTC), elle a réussi à faire signer deux accords inadmissibles socialement.
• Le premier, datant du tout début du confinement, porte sur les obligations des salarié.e.s qui n’ont pas pu travailler pendant la période de 4 jours (17-20 mars 2020) de fermeture du site et qui ne sont pas volontaires pour la reprise après le 23 mars 2020. Ces salarié.e.s sont obligé.e.s de récupérer toutes les heures non travaillées avec des heures supplémentaires et du travail en WE et jour fériés, après la fin du confinement, sans prime supplémentaire.
• Le deuxième date de début avril et est applicable à tous les salarié.e.s, même à celles et ceux qui n’ont pas arrêté de travailler en présentiel ou en télétravail. Cet accord établit les conditions de préparation à un éventuel chômage technique. D’abord, les salarié-e-s sont obligé-e-s de poser 10 jours de congés (5 congés payés et 5 d’autres compteurs). Par la suite, un éventuel chômage technique serait rémunéré à 92% du net pour tous les salarié.e.s. Normalement, selon la loi, les salarié.e.s au forfait devraient être rémunéré.e.s à 100% et les autres à 84%. La direction se montre donc « magnanime » envers les non cadres, alors qu’en réalité elle fera des économies : les salarié-e-s au forfait sont plus nombreux.euses et leurs salaires sont beaucoup plus élevés en moyenne. Cet accord, établissant des conditions encore moins favorables que les ordonnances scélérates du Ministère du Travail, a été possible grâce à l’inversion de la hiérarchie des normes de la loi El Khomri.
Parmi les organisations syndicales représentatives sur le périmètre Airbus Avions Commerciaux (FO, CFE-CGC, CFTC et CGT), seule la CGT a refusé de signer les accords et a dénoncé l’attitude de la direction visant à faire porter le coût de la crise sur les salarié.e.s. De concert, direction et autres OS traitent la CGT d’irresponsable. Les salarié-e-s sont mécontents de la situation, mais ont aussi très peur pour leur emploi après cette crise. Dans un contexte de confinement, il est compliqué en ce moment de comprendre quel discours est mieux entendu parmi eux.
Dans la plupart des usines, les premières semaines ont été au « volontariat » (ce qui arrangeait la direction, vue la difficulté sur beaucoup de postes à mettre en place des mesures de distanciation un peu crédibles). Mais, à partir de la semaine 17, fini le volontariat : les « non-volontaires » seront considérés comme en absence injustifiée... tandis que les volontaires actuels sont invités à poser cette semaine-là les congés imposés par les accords signés par les syndicats majoritaires.
En ce qui concerne les ingénieurs et techniciens du bureau d’études et d’autres fonctions de bureau, qui travaillent surtout en télétravail, la politique de la direction est inaudible.
On leur a expliqué que l’activité devait continuer coûte que coûte, pour sauver la boîte et les emplois. Et ce alors même que Faury a annoncé que beaucoup d’investissements étaient gelés (En particulier ceux en vue d’installer une ligne d’assemblage d’A321 à la place de la ligne des A380, mais aussi sur d’autres projets). Ils et elles ont donné le meilleur d’eux/elles-mêmes pendant 3 semaines, à travailler à la maison, dans des conditions parfois très difficiles, avec des enfants à garder en même temps. L’activité s’est poursuivie, en faisant preuve d’adaptabilité et d’inventivité pour mieux s’organiser, passer outre les limites des réseaux, ne pas perdre le lien avec les collègues et avancer les projets et les études diverses.
Or, pour les remercier pour leur dévouement, leur hiérarchie leur impose de se mettre en congé toutes et tous en même temps, comme si leur activité, arrêtée complètement pendant 2 semaines, était vaine et inutile. Pendant deux semaines, toutes les études, les réunions, les présentations, les documents à sortir sont suspendus, alors que leurs auteurs auraient pu avancer là-dessus. De plus les rumeurs selon lesquelles des projets continueront et d’autres s’arrêteront pourraient créer une ambiance délétère par rapport au maintien de leur poste, selon les projets sur lesquels ils travaillent. Cette frustration est dure à vivre, pire encore que l’imposition des congés en soi.
Quant aux salarié.e.s qui sont gentiment obligés de reprendre le travail sur site, notamment les salarié.e.s de la production, ils vont travailler la boule au ventre : peur d’être contaminé.e, de contaminer les siens, les autres, d’ajouter de la complexité à la situation intenable dans les hôpitaux.
De plus, Airbus met la pression sur ses fournisseurs et ses sous-traitants pour reprendre l’activité à leur tour, même s’ils ne sont pas d’accord à la base. Quitte à les contraindre dans quelques semaines à diminuer leur production pour suivre la baisse annoncée des cadences d’Airbus.
Cerise sur le gâteau, Airbus a réussi à se procurer des quantités importantes de masques et autres protections, qui manquent cruellement à tous les professionnels de santé, à l’hôpital ou en dehors. Et ça, pour reprendre une activité objectivement non essentielle. C’est un scandale aux yeux de toute la société.
Les salarié.e.s d’Airbus, de ses fournisseurs et ses sous-traitants ne sont pas là pour payer la crise du COVID-19 et du confinement. Toute production non essentielle doit cesser. Les salarié.e.s, dont le travail a cessé, doivent recevoir 100% de leur salaire net. Les patrons ont soutenu constamment les mesures d’austérité et de casse de l’état social et de la santé en France et dans toute l’Union Européenne, pour payer encore moins d’impôts et cotisations et être plus « compétitifs ». Charge à eux, avec le gouvernement incompétent et complice, de payer cette crise, de payer l’impréparation, le manque de tests, le manque de masques, les manques abyssaux des hôpitaux publics.
Correspondant.e.s
* A titre d’exemple : Airbus est en train de négocier avec Easyjet le report de 24 livraisons d’A320 prévues d’ici 2022, alors même que le principal actionnaire de cette compagnie presse la direction d’annuler la dernière commande de 107 A320, en raison d’une trésorerie au plus mal.