Ces derniers mois, Podemos a connu un dur affrontement, porté sur la place publique via les médias et les réseaux sociaux, entre les pro-Errejón (le secrétaire politique et porte-parole au Parlement espagnol) et Pablo Iglesias (le secrétaire général)...
Cet affrontement sans débat politique clair a vite été perçu comme une lutte pour le pouvoir. On a cru, à un moment donné, à la scission : les structures cessèrent de fonctionner et le lien dans l’organisation ne fut maintenu que par 10 personnes des trois grands courants - dont deux de nos militants de Anticapitalistas - qui reçurent le mandat de mettre sur pied, en deux mois, l’Assemblée citoyenne de l’État espagnol (nom donné au Congrès du parti).
Ceux et celles ayant partagé, durant trois ans, la direction de Podemos sur un modèle très hiérarchisé et électoraliste, avec un faible développement programmatique et des tactiques à géométrie variable sur des questions importantes, se sont mis à élaborer deux projets différents. Celui de Errejón, plus « institutionnaliste » réduit son champ d’action politique aux médias et aux parlements (central et des « Autonomies »), et son populisme cible en priorité les classes moyennes. Mais il tire un bilan critique du fonctionnement très peu démocratique et participatif du parti, y compris des tentatives de marginaliser l’opposition de gauche qu’est Anticapitalistas. Le projet de Iglesias cherche, lui, à rectifier l’« institutionnalisme » et la modération d’un discours visant à ouvrir un espace politique de centre gauche. Il opère, par là, un déplacement vers la gauche, mais sans mettre au clair une démarche et un programme alternatifs. Il conserve, par ailleurs, une vision organisationnelle hiérarchisée autour de la figure du secrétaire général...
Le Congrès des 11 et 12 février s’est mis en scène comme un meeting continu, avec peu de contenu politique, où les militantEs ont manifesté très largement une exigence d’unité. Il n’a résolu que la question du pouvoir : celui, désormais renforcé, de Iglesias, au détriment d’Errejón qui a subi une importante défaite politique. Mais, à l’évidence, sur son court laps de temps, le processus de préparation du congrès n’aura pas permis que soient débattus par toute l’organisation les documents politiques et organisationnels présentés. La délibération a été la grande absente du Congrès. La volonté de participation a pourtant été très forte : 155 275 personnes ont voté sur les documents et les listes. C’est un succès qui dit l’intérêt que suscite Podemos dans un large secteur populaire ressentant le besoin d’une organisation pour faire face au néolibéralisme.
Premier aspect positif de l’Assemblée : le parti a évité (pour l’instant) la division. Second aspect positif, sur le plan du résultat : le blocage d’un processus de droitisation institutionnaliste et du penchant à faire des accords systématiques avec les socialistes (PSOE) qui, en crise, soutiennent le gouvernement de droite du PP sur l’affligeant mode espagnol de la « grande coalition ». Premier aspect négatif : le secrétaire général accroît ses compétences et son pouvoir. Second aspect négatif : la consolidation d’un modèle d’organisation présidentialiste et plébiscitaire qui entrave la mutation de Podemos en un parti-mouvement populaire. En revanche, et c’est très positif, l’existence, en interne, de la pluralité d’opinions est acceptée : il reste à changer la culture politique en passant de la reconnaissance de cette réalité plurielle à sa traduction démocratique en termes de pluralisme politique à tous les étages du parti.
Anticapitalistas a fait un pas important dans ce Congrès : tout d’abord par son grand impact dans les médias et par la reconnaissance générale que la liste « Podemos en Movimiento » qu’il a impulsée. Le courant a été le seul à maintenir un débat fraternel, respectueux. Il a pu faire connaître un projet politique écosocialiste et un programme utile à la construction d’un bloc social pour l’unité populaire. En second lieu, il a mené une campagne de meetings et de réunions à travers le pays décisive pour avancer dans son implantation.
Avec 13,11 % des voix, ce sont plus de 20 000 militantEs qui lui ont apporté leur appui. Des candidats comme Miguel Urbán ont obtenu plus de 40 000 voix. En termes numériques et avec le handicap de ne pas disposer des moyens financiers ni de la présence médiatique des autres candidatures, tout ceci signifie une grande avancée. Hélas le système d’attribution des sièges au Conseil citoyen (organe de direction au niveau de l’État espagnol) est conçu pour renforcer la liste arrivée en tête ainsi que la seconde au détriment de la troisième et des suivantes : par ce système antidémocratique, Anticapitalistas n’est représenté dans cette structure qu’à hauteur de 3 %, soit deux éluEs, alors qu’à la proportionnelle, il aurait dû en obtenir 10...
Quoi qu’il en soit, celles et ceux qui ont soutenu cette liste ont reçu avec enthousiasme l’avancée obtenue.
De Séville, Manuel Gari
Traduit par Antoine Rabadan
Intertitres de la rédaction