Aujourd’hui mercredi 28 septembre 2016, après plus de deux ans de rebondissements judiciaires, a été confirmée en appel la peine de 18 mois de prison dont 6 assortis d’un sursis à l’encontre de Grégoire Minday, habitant de la zad de Notre-Dame-des-Landes. Il était poursuivi suite à la manifestation du 22 février 2014 à Nantes. Un pourvoi en cassation est envisagé.
Parmi l’assortiment de condamnations délivrées on retiendra, en particulier, l’interdiction de Loire-Atlantique pour 3 ans. Empêcher à quelqu’un de vivre là où il a construit ses attaches n’est au fond qu’une manière de l’emprisonner en douceur. C’est une peine secondaire en apparence mais aux effets redoutables, pour chaque personne qui l’a subie (il y en eut en 2012 et en 2014), comme pour le territoire en lutte, qui peut voir ses occupants un à un exilés. Une condamnation bien dans l’air du temps qui permet, par la mise à l’épreuve et l’interdiction de territoire d’étendre la peine à plusieurs années, sans avoir la charge émotionnelle d’une incarcération.
Cette affaire fut lourde d’enseignement aussi, sur la méthode employée par la police pour produire des coupables en fonction des besoins politiques du moment. En effet, après la manifestation du 22 février 2014 à Nantes, une campagne de répression d’un nouveau genre avait été mise en place. Sa spécificité avait consisté à être menée non à partir des preuves ou d’arrestations sur place, mais à partir de personnes potentiellement présentes dans les débordements, en fonction de leur profil. Cette campagne d’arrestations à partir de "profilage" signifiait, en creux, que des personnes avaient été choisies sur la base d’un fichage préalable réalisé par la police ou la DGSI. Et ce n’est qu’a posteriori que des indices étaient recherchés. Les juges, devant le fait policier et la pression de la communication des porteurs de projets, ont validé, aujourd’hui comme hier.
Voilà ce qui constitue une justice adaptée aux exigences répressives actuelles du gouvernement. Et si cette application du droit français doit nous effrayer quelque peu, c’est parce que son usage se multiplie aussi vite que les mouvements de lutte naissent et se renforcent.
Ce mercredi 28 septembre à la sortie du tribunal, se sont réunies plusieurs paroles pour mettre en lumière cet usage nouveau du droit et pour évoquer quelques pistes intéressantes à creuser pour y faire face.
Étaient présents, le condamné, le COCOCRIM (Collectif contre la criminalisation du mouvement social, né pendant le mouvement loi travail et rassemblant plusieurs comités et organisations politiques de Rennes), le comité ZAD local, une personne récemment interdite des manifestations pour la zad, et des habitants de la zad elle-même.
Lors de ce point presse, nous avons dénoncé chacun à leur tour les glissements de la répression politique de la lutte contre l’aéroport.
Interdictions administratives de manifester
Rappelons-nous : en 2014, toute honte bue, la commission parlementaire sur le maintien de l’ordre offrait un singulier enterrement à Rémi Fraisse, en proposant, notamment, le retour des interdictions préventives de manifester. L’état d’urgence le leur permettra, comme il l’avait permis à cet autre socialiste, Guy Mollet, pendant la guerre d’Algérie.
Cette restriction d’une liberté fondamentale réapparaît sous la forme d’interdiction de séjour dans des zones plus ou moins étendues. Prolongement logique des interdictions de paraître en Loire-Atlantique, l’origine administrative de ces mesures la rend facile à distribuer, comme on le constate depuis septembre, contre des personnes engagées pour la défense de la zad.
Notes blanches
Les notes blanches sont les notes produites par les renseignements sur les militants qui participent activement aux luttes que nous connaissons.
C’est le point de départ, produit par les services de renseignement, aux procédures et aux mesures administratives. Cette position de surplomb permet non seulement de s’affranchir de preuve mais en plus d’inventer les auteurs des fait reprochés, au gré des besoins politiques.
Le caractère incontestable qui recouvre ce type d’accusation contraint les magistrats à juger non plus sur les éléments concrets, mais sur un parti à prendre entre la parole de l’autorité et celle de l’accusé. A ce jeu là, on sait trop bien qui gagne.
Profilage
Il y a un enjeu pour le pouvoir aujourd’hui à trouver des coupables qui correspondent aux grilles d’analyse du présent, quitte à les inventer. Comme s’il s’agissait moins de trouver les auteurs des faits que de faire concorder un coupable avec le profil qu’on veut lui prêter. C’est une double opération : isoler par le discours certaines composantes du mouvement, fonder cette séparation par la répression.
Le pire, dans un mouvement comme celui contre la loi travail, serait que, comme dans la lutte contre l’aéroport, les manifestants poursuivis ne correspondent pas au profil attendu, qu’ils ne rentrent pas dans le moule que le récit gouvernemental produit invariablement depuis des années, qui veut que les débordements soient le fait des casseurs, et que les casseurs soient des individus extérieurs au mouvement. L’enjeu de notre côté, consiste donc, même quand les coups pleuvent, à ne pas succomber aux séparations que ce type d’opération produit : entre ceux qui participent à la lutte et ceux qui ne le peuvent pas, entre ceux que l’on somme de se dissocier et ceux que l’on pousse à se radicaliser.
Ces trois éléments (profilage, notes blanches et interdiction de manif), attestent d’une chose qui n’est pas nouvelle mais qui ressurgit inévitablement quand un pouvoir politique cherche activement à se débarrasser de ce qui remet en cause ce qui lui reste d’autorité. Il s’agit du glissement vers une collusion entre le pouvoir policier au service du gouvernement et le pouvoir judiciaire. C’est sur ce chemin vers l’autoritarisme que le pouvoir s’est engagé, avec l’appui de l’état d’urgence.
Actuellement, la surenchère dans la proposition de mesures préventives à droite permet au gouvernement de se présenter comme le rempart de l’état de droit. Ce vacarme pré-électoral couvre en fait l’avancée silencieuse de l’exception permanente, que constitue l’utilisation des mesures préventives contre le mouvement social.
Cette volonté de diviser, nous sommes parfois parvenus à la repousser, par la solidarité concrète face aux nombreuses attaques policières ou judiciaires contre des personnes engagées dans la lutte. Nous nous y sommes aussi efforcés depuis quelques années, en préparant les événements de la lutte contre l’aéroport. Mais sommes nous prêts à anticiper une répression accompagnée par un glissement sociétal de cette ampleur ?
Faire face
Devant un arsenal de mesures nouvelles, qui frappe des individus pour les isoler, le premier enjeu consiste à observer, à analyser, et à se rassembler.
Des personnes interdites de manifestations nous en donnent un exemple : un blog a été crée (interditsdemanif.noblogs.org), qui leur permet dans un premier temps de se compter, de comprendre ce qui leur est notifié avec l’aide d’avocats, et de chercher ensemble comment mettre en déroute juridiquement et politiquement ces mesures. Plusieurs réflexions se mènent pour que les interdits commencent par sortir de l’isolement auquel on les a acculé avant d’envisager collectivement de braver les interdictions.
Ce qu’il faut réunir maintenant c’est la solidarité matérielle et politique pour que des gestes de désobéissance fassent l’objet d’une assomption collective plus large. C’est ce travail de fédération, que tentent ici et là des collectifs d’organisation comme le COCOCRIM à Rennes.
Dans la logique actuelle, l’hypothétique tentative d’expulsion de la zad devrait produire son lot d’interdictions de séjours sur le site à défendre, ou dans les manifs de solidarité. Les centaines d’interdits de manifestations dans toutes les villes de France au printemps dernier, pourraient se transformer en milliers d’interdictions de défendre la ZAD.
Savoir, à l’échelle d’un mouvement, adopter une position préventive sur cette question peut avoir un effet déterminant sur la désobéissance à ce type de mesure. Et pour que le geste de désobéir soit rejoignable, il faut que les conséquences éventuelles soient prises en charge collectivement. Il faut que ceux qui ne sont pas encore touchés se soucient au même titre que les autres de la question.
Cet été, des inculpés No-TAV ont eux aussi refusé le contrôle judiciaire qu’on leur avait imposé. Le geste posé publiquement, les autorités n’ont pas osé les poursuivre et ont régularisé leur situation. D’autres exemples existent en France dans l’histoire récente qui montrent une manière habile de soutenir un rapport de force avec le gouvernement face à la répression politique.
Notre situation est différente : la ligne rouge a déjà été franchie massivement et nationalement, par le gouvernement. Le virage autoritaire que l’on subit se déploie autant au niveau des mesures préventives citées, que des violences policières, ou des condamnations d’acteurs du mouvement social, notamment parce que syndiqués. Notre responsabilité est d’autant plus importante. Mais notre position de force l’est tout autant, face à un pouvoir qui chaque fois qu’il avance en parole, recule dans les faits.
Des partisans de la zad.