Ce texte reprend l’essentiel du rapport de présentation à la réunion publique du NPA 31 du 21 mars 2019 à Toulouse. Il n’a pas la prétention de traiter l’ensemble des problèmes posés, mais de donner des points de repère pour comprendre l’ampleur de la crise actuelle de la construction européenne.
Et justement, pour mesurer l’ampleur de cette crise, il suffit de se reporter à 2014, date des dernières élections européennes et de poser la simple question : qui, à l’époque aurait pu imaginer que se produiraient des événements aussi importants et inattendus que :
-Le Brexit, qui peut provoquer des réactions en chaîne totalement imprévisibles,
-La crise grecque, véritable leçon de choses, notamment par la violence des interventions de la Troïka,
-La crise des migrants, au point de devenir une question politique centrale,
-La montée de l’extrême-droite et du fascisme, certes déjà à l’œuvre, mais conduisant à des situations très inquiétantes en Pologne, Hongrie, Italie,… et maintenant en Espagne (Vox),
-La mise en œuvre par la BCE de taux d’intérêts négatifs pour les dépôts bancaires.
Qui aurait pu imaginer de tels scénarii ? Et on pourrait rajouter la Catalogne, etc.
Pour deux raisons principales :
1/ Une situation économique pas très brillante :
Le taux de croissance de la zone euro est révisé à la baisse à 1,1% pour 2019, alors qu’il était de 2,5% en 2017. Alors que les espoirs de reprise étaient attendus, il a fallu se rendre à l’évidence que cela ne serait pas le cas. D’où les déclarations le 7 mars de Mario Draghi, président de la BCE, annonçant une nouvelle salve de prêts géants aux banques, et le report du relèvement des taux d’intérêt (report également par les banques centrales des Etats-Unis et du Japon).
Pour rappel, le taux directeur de la BCE, pour les prêts aux banques, est de 0% depuis mars 2016, et le taux de dépôt des banques à la BCE est négatif, à – 0,4%. Ces deux mesures ont pour objectif d’inciter les banques à faciliter les prêts aux entreprises et aux ménages, mais rien n’y fait. Les banques préfèrent acheter des obligations d’Etats très rémunératrices, et spéculer sur les monnaies, etc.
Résultat : il y a unanimité pour considérer qu’une nouvelle crise financière est imparable, les seules questions étant : Quand ? Où ? Dans quel secteur ? Mais avec une certitude : les banques centrales, et la BCE en premier, ne pourront intervenir pour sauver les banques, avec les mêmes largesses qu’en 2008.
2/ Une crise renforcée de la légitimité des institutions européennes :
Pour ne prendre que l’exemple de la France, il est évident que la crise de légitimité des institutions, révélée grand angle et amplifiée par le mouvement des Gilets Jaunes, touche encore plus fort des institutions aussi anti-démocratiques que la Commission européenne et la BCE, pour ne citer que les principales. Aujourd’hui, la seule institution qui trouve grâce – et encore pas toujours, surtout dans les grandes villes – est celle des municipalités.
3/ Et surtout, ne pas desserrer l’étau :
Pour autant, il n’est pas question de changer de politique. Cet acharnement en deviendrait presque risible si des millions de travailleuses et de travailleurs n’en payaient le prix fort. Risible quand on voit le Portugal obtenir quelques résultats sur le chômage avec des mesures néo-keynésiennes de relance qui n’ont rien de révolutionnaire et qui ne règlent rien sur le fond, et dont certaines ont été critiquées par des secteurs de gauche. Plus risible encore, ce que rapporte Martine Orange dans un article de Médiapart. Après avoir fait le tour de pays aux perspectives de croissance peu brillantes (Allemagne, Italie, Pays-Bas, Espagne), elle ajoute : « Il n’y a guère que la France, dont l’activité est soutenue en partie par les mesures prises en réponse à la révolte des « gilets jaunes », qui résiste à peu près ».
Mais pas question pour autant de desserrer l’étau de l’austérité, et des attaques contre toutes les conquêtes sociales. C’est en ce sens que le président de la Commission, J.C. Junker, pouvait affirmer, en 2015 : « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens. »
C’était un avertissement direct au peuple Grec, mais aussi à tous les autres peuples. Et pour bien faire passer le message, la Troïka (CE, BCE, FMI) s’est livré à un interventionnisme d’une très grande violence sociale et politique.
En Grèce, une Autorité Autonome des Ressources Publiques s’est substituée au Ministère des Finances et au Trésor Public, avec deux représentants de la Commission. Avec pour mission de faire rentrer les arriérés d’impôts, quitte à opérer des saisies directes sur les comptes bancaires. En mai 2018 en Italie, la BCE et la Commission sont intervenues directement pour empêcher la nomination d’un ministre de l’économie peu favorable à l’euro. Mais on risque d’attendre longtemps la moindre intervention pour condamner la politique raciste de Salvini !
Et quand les institutions ne suffisent pas, les marché financiers se chargent du sale boulot. De ce point de vue l’exemple de la Turquie rapporté dans le Monde Diplomatique de juillet 2018 est éloquent. Au lendemain d’une déclaration de Erdogan laissant entendre son intention de baisser les taux d’intérêt de la Banque centrale turque, les marchés financiers faisaient chuter le cours de la livre turque de 20% en un mois. Résultat : non seulement Erdogan a renoncé à la baisse souhaitée, mais a accepté une hausse du taux directeur turc de 13,5% à 16,5% puis à 17,75% le 7 juin.
Le message est donc clair : toute tentative de mener une politique un tant soit peu contraire aux dogmes néo-libéraux, sera châtié immédiatement. Et en ce sens, la conclusion à en tirer est tout à fait claire : cette Europe n’est pas réformable.
Cela ne signifie pas que nous soyons indifférents à toute réforme au niveau européen. Et d’ailleurs toutes les victoires partielles ayant une dimension européenne ne peuvent que contribuer à forger la conviction de mener des combats unifiés sur tout le territoire de l’UE. Certaines de ces victoires sont d’ores et déjà à notre portée, comme celle sur le glyphosate, sur la défense du droit à l’IVG
Et comme cette Europe n’est pas réformable, nous devons avancer un programme de revendications de rupture, en cohérence avec notre programme général :
– la mise sous contrôle public, par les usagers et employés des banques, des secteurs stratégiques de l’énergie, des transports.
– la convergence par le haut des minima sociaux (SMIC en particulier), non forcément par un alignement uniforme, mais de façon à garantir à toutes et à tous la satisfaction des principaux besoins sociaux : logement, santé, se nourrir correctement, etc.
– rétablir et renforcer tous les services publics, en les plaçant sous contrôle des usagers et des personnels concernés : éducation, santé, transports,…
– pour une agriculture paysanne, non-productiviste
– assurer la transition énergétique par la sortie programmée des énergies fossiles et du nucléaire, par la fin des grands projets inutiles.
– lutter contre les discriminations, pour les droits des femmes (IVG),…
– droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
– rompre avec les politiques néo-coloniales, les interventions militaires, par la réduction drastique de ces budgets, et promouvoir une coopération avec les peuples et un accueil digne de tous les migrants.
On pourra dire que, avec un tel programme, nous plaçons la barre bien haut, hors de portée des mobilisations réelles. Mais prenons l’exemple de la BCE. Des partis comme le PCF et FI ou même EE-LV entendent modifier ses statuts de façon à lui faire jouer un rôle positif, et au plan national, ils avancent la proposition d’un pôle public bancaire. Mais si dans les différents pays les principales banques restent privées, au service des marchés financiers, en quoi une BCE « démocratisée » pourra-t-elle jouer un rôle vraiment positif ?
Au plan européen, comme dans chaque Etat, aucune avancée sociale et politique ne sera réelle sans empiéter significativement sur le domaine sacré de la grande propriété privée. Et c’est justement à partir de la mise en œuvre d’un tel programme de rupture, avec ses avancées sociales portées par la mobilisation des exploit-e-s que nous posons la question de l’affrontement avec les institutions européennes. C’est à partir de cette orientation que nous posons la question de la sortie éventuelle de l’euro, voie même de l’UE. Non comme la clé permettant de retrouver une soi-disant « souveraineté nationale » bien illusoire dans le cadre du maintien de la domination capitaliste, mais comme mesure d’auto-défense des travailleurs/travailleuses, de leurs organes de lutte et de leur gouvernement face au bras de fer que ne manquerons pas d’engager les institutions européennes et les différentes bourgeoisies.
Enfin, ajoutons que toute sortie de l’UE ou de l’euro, en dehors d’avancées sociales pour toutes et tous (y compris les immigrés), ne peut que renforcer le racisme et la xénophobie. On en a un cruel exemple sous les yeux avec les conséquences du vote sur le Brexit. Le Monde du 5 septembre 2016 titrait : « Violences contre des Polonais au Royaume-Uni après le vote sur le Brexit ».
En opposition frontale avec tout repli national, nous ne concevons une rupture avec les institutions européennes que combinée avec un appel à la solidarité, à la mise en œuvre d’une solidarité avec les luttes dans les autres pays, à un internationalisme concret. C’est dans l’ouverture de ces brèches, par la mobilisation populaire la plus large possible, que pourra se valider la perspective d’un processus constituant pour une Europe des travailleurs et des travailleuses, pour une Europe des peuples et de tous les opprimé.e.s.
Lucien Sanchez
Mars 2019