Le 3 octobre, après avoir évoqué « l’horreur du crime à Marseille » du dimanche précédent, Jean-Luc Mélenchon, interpellant Edouard Philippe à l’Assemblée nationale au sujet du référendum pour l’indépendance en Catalogne Sud, a exprimé sa « sidération de voir à notre frontière les déchirements dans lesquels est entrée la nation espagnole, notre sœur. Je crois que tous les bancs de cette assemblée sont saisis par l’impasse politique qui vient de s’installer ».
Fidèle à ses précédentes déclarations sur le sujet, il exprime là sa préoccupation essentielle, sa crainte que l’indépendance de la Catalogne Sud ne mette à bas l’unité de l’Etat d’Espagne et n’encourage d’autres peuples dominés en Europe à suivre son exemple. Pas un mot donc sur le droit inaliénable des Catalans à leur autodétermination, leur droit à voter pacifiquement pour ou contre leur séparation d’avec l’Etat central de Madrid. Et cela, dit sans honte, le surlendemain d’un déploiement policier et militaire violent de l’Etat d’Espagne visant à terroriser les électeurs et les menaces du gouvernement Rajoy de jeter les responsables politiques catalans en prison.
La suite de son interpellation est du même acabit : « La monarchie semble incapable d’assumer la fonction fédératrice que le franquisme lui avait confiée. Le gouvernement s’est enfoncé d’un seul coup dans une logique de confrontation dont personne ne voit la sortie. Nous autres, Français, ne pouvons accepter qu’une nouvelle fois, à notre frontière, surgisse une situation dont personne n’est capable aujourd’hui de dire comment on peut sortir pacifiquement et démocratiquement. On ne saurait avoir une indifférence qui, par son côté glacé, donnerait le sentiment d’approuver les violences. On ne saurait non plus admettre que tout soit possible tout le temps. »
Passons sur l’oubli de Jean-Luc Mélenchon que « la fonction fédératrice » de la monarchie des Bourbon d’Espagne n’est pas seulement le legs du « franquisme », mais aussi celui de la « transition démocratique » de 1975-1978 qui a vu tous les partis institutionnels de droite et de gauche, officiellement républicains pour ceux-ci, se coucher devant la Couronne et confier à Juan Carlos et ses descendants le rôle de chef de l’Etat d’Espagne. En revanche créditer Felipe VI d’un rôle « fédérateur » est un oxymore. Felipe VI est le garant de la soumission de tous les peuples d’Espagne à l’unicité de l’Etat madrilène. C’est ce qu’il a redit, violemment, lors de son allocution solennelle de mardi soir, à 21 heures, donc après l’intervention de Jean-Luc Mélenchon au Parlement français, ce qui lui servira d’excuse sans doute, mais n’efface en rien sa faute d’interprétation politique. La rue catalane, elle, ne s’y est pas trompée, avec ses casserolades ponctuées du mot d’ordre : « A bas la monarchie, vive la République catalane ! ». Comme ne s’y est pas trompé le député catalan « Joan Tardá, qui [a tweeté] un très concis “Philippe VI comme Philippe V”. Cinglante allusion à l’occupation de Barcelone par les troupes de Philippe V d’Espagne, le 11 septembre 1714, qui mit fin à la révolte catalane contre les Bourbons d’Espagne » (Antoine Rabadan, blog du NPA 34).
Plus grave. Notre condottiere de la République sociale qui en appelle à l’insoumission du peuple français pour un processus constituant d’une VIe République par une « insurrection dans les urnes », appelle le peuple catalan à se soumettre. S’il ne saurait « donner le sentiment d’approuver les violences » de l’Etat d’Espagne, il ajoute aussitôt, renvoyant dos à dos le peuple catalan, qui s’est insurgé dans les urnes et dans la rue dimanche, lundi et mardi, et l’Etat madrilène : « On ne saurait non plus admettre que tout soit possible tout le temps. » Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà.
La conclusion de l’interpellation de Jean-Luc Mélenchon laisse rêveur : « Monsieur le premier ministre, c’est notre devoir, comme nation républicaine, de tendre la main fraternellement à la nation espagnole et de proposer notre médiation, car il ne saurait être question qu’une question de cette nature dégénère et vienne pour finir affecter la patrie républicaine des Français. »
Que comprendre ? Si les mots ont un sens, il invite Edouard Philippe (et Macron ?) à prendre la mesure de la possible contagion du « séparatisme » catalan au nord des Pyrénées, que le « oui » à l’indépendance de la Catalogne Sud ne donne des idées aux peuples colonisés des DOM-TOM, aux minorités culturelles dominées de Corse, du Pays basque, de Bretagne ou d’Occitanie. Jean-Luc Mélenchon s’inquiéterait-il de l’élan de solidarité en Catalogne Nord avec la Catalogne Sud, des mille manifestants de Perpignan du lundi 3 octobre, où nombre de manifestants se sont affichés avec le « phi » de la France Insoumise, où des drapeaux du PG ont côtoyé ceux du NPA, du PCF, du Partit Occitan ou d’Ensemble !, comme ce fut aussi le cas à Montpellier et Toulouse (sauf le PCF 31) lors des rassemblements, plus modestes qu’à Perpignan il est vrai, de solidarité avec la Catalogne de ces derniers jours.
La position de Jean-Luc Mélenchon est intenable quand les Bourbons d’Espagne et le gouvernement PP de Rajoy se préparent à emprisonner le chef de la police catalane pour « sédition » et le président de la Generalitat s’il déclare l’indépendance lundi. La seule « médiation » de la « France » qui vaille est la mobilisation populaire des organisations démocratiques, associations, syndicats et partis de France sous le mot d’ordre : « Liberté pour la Catalogne ».
Pierre Granet, NPA 31
jeudi 5 octobre 2017