Appel initié par Jean-Marie Brohm, professeur émérite de sociologie à l’Université Montpellier III et Fabien Ollier, directeur de publication de la revue Quel Sport ?
Alors que le dépôt de la deuxième partie du dossier de candidature pour les Jeux de 2024 a eu lieu le 7 octobre 2016, les signataires du présent appel souhaitent manifester leur opposition à une opération de communication lancée à grands frais depuis le mois d’avril 2015 par la Mairie de Paris, avec l’appui du président de la République et de l’ensemble du gouvernement. Le coût de la candidature aux JO 2024 (frais de candidature à verser au CIO, déplacements, plans de communication, honoraires des cabinets de consultants, frais généraux, etc.) est aujourd’hui estimé à 60 millions d’euros dans le cadre d’un « budget évolutif » pouvant aller jusqu’à 100 millions en fonction des besoins. Après la défection de Boston et de Hambourg, la nouvelle maire de Rome, Virginia Raggi, vient de refuser de soutenir une candidature italienne qu’elle juge « irresponsable » en disant « non aux Jeux du béton, non aux cathédrales dans le désert ! ». Si l’Euro 2016 a coûté plus de deux milliards d’euros à l’État et aux collectivités territoriales pour rénover des grands stades privatisés et sécuriser les fans zones de l’UEFA au détriment de projets sociaux essentiels, l’organisation des Jeux pourrait grever encore plus les finances publiques mobilisées dans des constructions sportives sans réelle utilité sociale pour la majorité de la population. Compte tenu de l’augmentation massive du chômage, de l’exclusion, de la précarité et de la pauvreté en France (6 millions de chômeurs, 8 millions de pauvres), et dans un contexte marqué par des mesures d’austérité qui frappent tous les secteurs de la vie publique, nous estimons qu’il y a d’autres priorités qu’une candidature dispendieuse aux JO.
À l’heure où l’État se désengage des missions qui lui incombent, un abondement exceptionnel de 10 millions d’euros pour assurer le bon fonctionnement du Groupement d’intérêt public « Paris 2024 » a déjà été débloqué. Si la ville de Paris était choisie par le CIO en septembre 2017, 3 milliards de fonds publics seraient encore versés dans un budget prévisionnel global de 6,2 milliards d’euros. Paris et le Conseil régional d’Île-de-France ont ainsi promis de verser 145 millions d’euros chacun pour rénover des infrastructures sportives essentiellement réservées au haut niveau, sélectionner une élite, moderniser des transports en vue d’accueillir les touristes. Or, il faut s’attendre à une augmentation considérable des dépenses ! Pour quasiment tous les Jeux, les budgets prévisionnels ont en effet explosé (Athènes : + 109 % de dépassement, 11,1 milliards ; Pékin : + 1130 %, 32 milliards ; Londres : + 127 %, 11 milliards ; Rio : + 247 %, 33 milliards, selon Le Monde et Wladimir Andreff, 25 février 2015). Pour les JO de Tokyo 2020, le budget de construction dépasse actuellement les 4 milliards d’euros pour une prévision initiale de 1,3 milliard (AFP, 28 septembre 2016). Tandis que le CIO est exonéré d’impôts et que les retombées économiques bénéficient majoritairement à ses partenaires commerciaux, les populations sont obligées de supporter le poids de la dette pendant plusieurs années, comme ce fut le cas pour Grenoble en 1968 et Albertville en 1992. Alors que l’hôpital public, le logement social, les transports en commun, l’éducation, la recherche scientifique, la culture subissent des restrictions budgétaires régulières, nul ne peut sérieusement espérer que l’opération de prestige olympique offre une réponse réaliste à la crise globale.
Les édifices olympiques bâtis en un temps record sous l’égide de « lois olympiques » d’exception, mobilisent toujours une majorité de « travailleurs jetables » et d’intérimaires, quand ce ne sont pas, comme à Pékin, à Sotchi ou à Rio, des migrants ou des personnes déshéritées traités comme des esclaves. Les emplois créés, prétendument durables, disparaissent à la fin des Jeux et sont synonymes de précarité et de dumping salarial. Le mouvement olympique n’hésite d’ailleurs pas à utiliser les petites mains des bénévoles pour encadrer ses opérations de propagande (scolaires, jeunes sportifs, étudiants, dirigeants sportifs). Le modèle des « commis agiles » au service des « missions olympiques » accompagne ainsi le démantèlement progressif du droit au travail. Or, le gouvernement actuel remet déjà en cause les droits fondamentaux des salariés au nom de la « flexibilité du marché de l’emploi » et de la « simplification » du code du travail, tandis que l’appel aux travailleurs détachés se répand (chantiers de la COP 21, Université d’été de la Rochelle, etc.).
La spéculation immobilière engendrée et nourrie par la réalisation d’infrastructures olympiques luxueuses va une nouvelle fois toucher les quartiers populaires. Prix du foncier et de l’immobilier, loyers et impôts locaux vont grimper, alimentant la gentrification et enrichissant les actionnaires des groupes BTP et des promoteurs, au détriment du logement social et des classes populaires déjà frappés par la crise du logement. Au nom du gigantisme olympique, les multinationales du béton armé n’hésiteront pas à saccager des patrimoines naturels et culturels (les Serres d’Auteuil, entre autres, seront délabrées en raison de l’agrandissement de Roland-Garros), ni à laisser, comme pour tous les Jeux dits « verts », un bilan énergétique désastreux (empreinte carbone de plusieurs millions de tonnes pour chaque JO, gaspillage, pollution des cours d’eau, bétonnage massif, etc.). La concentration de millions de touristes et la multiplication des déplacements ne feront qu’amplifier les « pics de pollution » dans la capitale et ses banlieues déjà saturées par les embouteillages, alors que les maladies respiratoires, en hausse constante, nécessitent une prise en charge qui coûte près de 2 milliards d’euros par an à l’État.
Dans un contexte de tensions internationales et de démultiplication des attentats en France et en Europe, des Jeux à Paris qui rassembleront des milliers d’individus dans des espaces restreints, risquent de devenir des cibles potentielles pour des attentats islamistes. Pour protéger les sites olympiques, le déploiement d’un imposant arsenal policier et militaire, déjà à flux tendus depuis des mois et des mois, sera nécessaire au détriment d’autres missions de sécurité publique. Au nom de la « fête olympique », faudra-t-il alors accepter comme lors de l’Euro 2016 le quadrillage de l’espace public, la surveillance électronique généralisée, la restriction des libertés fondamentales ? Loin d’être un « rassemblement pacifique des peuples », comme le clame l’idéologie olympique, les Jeux vont occasionner une surveillance de masse aux coûts exorbitants.
Les décisions qui concernent l’avenir des citoyens ne doivent pas être confiées aux hiérarques du CIO qui ne choisiront le vainqueur de leur course aux enchères qu’en fonction de leurs propres intérêts et de ceux de leurs partenaires commerciaux (Mc Donald’s et Coca-Cola notamment).
Pour toutes ces raisons, nous appelons les élus, les responsables politiques, associatifs et syndicaux, ainsi que tous les citoyens à refuser cet indécent gaspillage financier, économique et écologique qui ne bénéficiera qu’à la multinationale du CIO, souvent impliquée dans divers scandales d’affairisme et de corruption.
Premiers cosignataires : ATTAC ; Droit Au Logement ; Fédération Sud éducation ; Lutte Ouvrière ; NPA
Nathalie Arthaud, candidate de Lutte Ouvrière à l’élection présidentielle 2017 ; Christine Poupin, porte-parole du NPA ; Philippe Poutou, porte-parole du NPA, candidat aux élections présidentielles de 2012 et 2017 ; Danielle Simonnet, conseillère de Paris, coordinatrice du Parti de Gauche.
Gilles Bataillon, directeur d’études à l’EHESS ; Patrick Baudry, professeur de sociologie à l’Université Bordeaux III ; Miguel Benasayag, philosophe et psychanalyste, membre du collectif Malgré tout ; Jean Bilard, professeur émérite de psychologie à l’Université Montpellier I ; Gérard Bras, ancien directeur de programme au Collège International de Philosophie, président de l’Université Populaire des Hauts-de-Seine ; Denis Collin, philosophe ; Christian Godin, philosophe ; Pierre Guerlain, professeur de civilisation américaine à l’Université Paris Ouest Nanterre ; Françoise Hache-Bissette, professeur en sciences de l’information et de la communication à l’Université Paris-Saclay ; Claude Javeau, professeur émérite de sociologie de l’Université Libre de Bruxelles ; Marc Jimenez, philosophe, professeur émérite de philosophie à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne ; Catherine Louveau, professeure émérite de sociologie à l’Université Paris Sud UFRSTAPS ; Robert Misrahi, professeur émérite de philosophie éthique à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne ; Laetitia Petit, maître de conférences en psychologie clinique à l’Université Aix-Marseille ; Robert Redeker, philosophe ; Louis Sala-Molins, professeur émérite de philosophie politique aux Universités Paris I et Toulouse II ; Daniel Salvatore Schiffer, philosophe, professeur de philosophie de l’art à l’École Supérieure de l’Académie Royale des Beaux-Arts de Liège, porte-parole francophone du Comité International contre la Peine de Mort ; Patrick Tacussel, professeur de sociologie à l’Université Montpellier III ; Pierre-André Taguieff, philosophe et politologue, directeur de recherche au CNRS ; Patrick Tort, directeur de l’Institut Charles Darwin International ; Yves Vargas, Philosophe ; Patrick Vassort, maître de conférences en sociologie à l’UFRSTAPS de Caen.