Derrière ce titre provocateur, il y a hélas un fond de vérité. Et ce n’est pas nous qui le disons, mais lui ! Quant à ses soutiens, Laurent Lévy a bien raison de parler de leur « résignation politique », tant les semaines qui s’écoulent montrent la nature de la campagne de Jean-Luc Mélenchon.
On pensait avoir tout vu. Le soutien à Poutine, les femmes en burkini traitées de provocatrices, la remise au goût du jour de la bataille de Valmy et la réinvention d’un ennemi germanique. Mais rien ne semble devoir nous être épargné.
Les goûts culinaires, réels ou inventés pour les besoins de la campagne qui démarre, et égrainés dans Gala ou dans les meetings, ne nous font ni chaud ni froid. Plus étonnant est son soudain amour pour la cause animale. Le dirigeant du Parti de gauche semble avoir comme but premier de ratisser tout ce qui ressemble à un écologiste déçu. On pourrait s’en féliciter, malgré notre surprise de découvrir tant de préoccupations chez cet homme. Mais, au fond, cette préoccupation, nouvelle, pour le « bien commun », n’est qu’une remise au goût du jour de l’unité nationale, de supposés intérêts communs au-dessus des classes sociales.
Des citations qui font peur
Les phrases de Mélenchon sont à peine croyables, on ne peut qu’inviter à vérifier sur Youtube… Mélenchon raconte sa rencontre avec les patrons des assises du Produire en France [1]. « Millionnaires, vous ne pouvez pas ignorer la marée montante de la pauvreté dans la patrie. Quand la vague [la fin de l’écosystème] arrive, elle ne fait pas le tri entre ceux qui sont millionnaires et ceux qui ne le sont pas. » Il semble oublier que les premières victimes du changement climatique sont, de loin, les plus pauvres, entre les famines, les épidémies, l’accès à l’eau douce…
Et il insiste : « Je suis venu vous dire dans quelles conditions, compte tenu de ce que je ferai avec nos gouvernements et nos majorités, vous pourrez vous rendre utile au pays et aux objectifs communs que nous tracerons à la patrie. » Patrons et salariés auraient donc des objectifs communs, et chacun devrait simplement trouver sa place.
D’ailleurs, pour ceux qui risquaient de ne pas comprendre le leitmotiv, Mélenchon a commencé son discours par « Une fois que les Français nous auront confié la responsabilité de la patrie… »
C’est a priori avec ce discours que Mélenchon tente de séduire les sympathisants du Parti communiste, en renouant avec le « produire français » et le nationalisme du PCF des années 50. Il n’est pas certain, tout de même, que les militants du 21e siècle s’y trompent ! Et que les militants du PG s’y retrouvent…
Coup de folie ?
Le discours est tellement étonnant qu’on pourrait penser que l’ancien militant du PS a été gagné par la folie et qu’il croit lui-même en son destin personnel. En effet, que ce soit sur « la patrie », les étrangers ou les relations internationales, le discours de Mélenchon semble à vingt mille lieux de ce que pensent bon nombre de militants des partis qui l’ont soutenu en 2012 et qui s’apprêtent à le soutenir à nouveau.
Beaucoup de militants reconnaissent d’ailleurs que les sorties de Mélenchon sont le contraire de leur orientation, mais s’y résignent par l’idée que, globalement, cela fait avancer notre cause, celle de la lutte contre le gouvernement, le libéralisme voire le capitalisme. Ils attribuent ces errements à la personnalité de Mélenchon.
Ces camarades oublient que tout cela entre en cohérence avec la fonction présidentielle même, avec cette Ve République qui confond masque le politique derrière un supposé destin personnel. Ils se cachent les yeux pour ne pas voir que, justement, faire campagne pour un individu qui défend ces orientations, c’est la négation même de leur engagement politique. En effet, Mélenchon considère (écouter autour de la 14e minute) qu’il est un candidat hors parti, la vieille rengaine consistant à expliquer que, sous la Ve République, « l’élection présidentielle, c’est la rencontre d’un homme et d’un pays, d’un homme et d’un peuple » (François Bayrou).
On ne peut plus douter qu’il croit à toutes ces bêtises. En effet, qu’est-ce qui pousse, comme il le dit « un homme qui a toujours eu sa carte dans un parti » à s’en émanciper, à fixer le programme lui-même (il l’explique également), sinon la profonde conviction de l’échec de la construction d’un parti ? Qu’est-ce qui conduit le PG à n’être, ses propres militants le dénoncent, qu’un coquille vide au service de l’individu Mélenchon ? C’est bien l’abandon, publiquement assumé d’un projet collectif, remis dans les mains d’un individu supposé résoudre par sa personnalité les problèmes capitaux de la conscience et de l’organisation de la classe…
Il n’y a plus beaucoup d’intérêt à discuter de l’éventualité de la folie de Mélenchon. La réalité est cette campagne qui fait la part belle à la suppression de la lutte des classes au profit d’une vision « morale » de la société, où chacun, patron comme ouvrier, à sa place ; cette campagne où le cinéma est appelé comme exemple pour montrer en quoi le protectionnisme viderait à éclairer le monde ; cette campagne qui tourne autour d’un homme supposé résoudre tous les problèmes d’un pays.
Quel programme ?
A la Fête de l’Humanité, on n’a pas entendu grand-chose côté programme. Mélenchon s’en revendique d’ailleurs dans les médias, préférant construire sa posture. On a envie de le défendre face aux journalistes répugnants… mais il y a tout de même un problème !
Concernant la dette, un point particulièrement important, le candidat s’en tire par des pirouettes qui déplaisent aux bourgeois car elles semblent évacuer la question de l’équilibre budgétaire. C’est une réalité… mais pour les anticapitalistes, c’est surtout une façon d’esquiver la question de l’annulation de la dette et de l’affrontement avec les banques et l’Union européenne.
Mélenchon répond, en gros, qu’on verra plus tard, car notre politique créera de la dette, mais aussi de nouvelles richesses. Vieille promesse keynésienne, qui n’a pourtant pas permis à la Grèce de résister face à ses créanciers.
Deuxième élément de programme, sans transition, une sorte professionnalisation de haut niveau de qualification. Et Mélenchon se vante de sa politique sous le gouvernement Jospin… alors que sa licence professionnelle a justement été une innovation anticipant la réforme LMD qui a consacré la casse des diplômes. Mélenchon veut professionnaliser à tout crin, sous prétexte de vouloir respecter les travailleurs… alors que la professionnalisation est un élément fondamental de l’arsenal servant de réduire la valeur des diplômes sur le marché du travail.
Que reste-t-il de leurs amours ?
De nombreux militants ont vu dans le Front de gauche la possibilité d’un parti pour les exploités, permettant de reconstruire la conscience de classe et de préparer les luttes. Que reste-t-il de tout cela après près de dix ans ?
Un discours de plus en plus teinté de nationalisme, la négation du parti comme construction d’un intellectuel collectif et militant, un programme de plus en plus insipide, un Parti communiste qui ne se détache pas plus qu’il y a dix ou vingt ans des postes négociés avec le Parti socialiste, des milliers de militants démoralisés…
Il est temps de redonner une dynamique à la construction d’un parti, d’une force pour que les exploités fassent entendre leur voix, pour renverser le capitalisme, pour exproprier les patrons et les « millionnaires ». C’est le sens de la campagne de Philippe Poutou à la présidentielle.