Par Robert Pelletier, correspondant pour l’Anticapitaliste Hebdo
Le 52ème congrès de la CGT s’ouvre ce lundi à Marseille dans une ambiance de la mobilisation contre la loi travail. La place prise par la CGT dans cette mobilisation met la direction confédérale en situation favorable dans ce congrès.
Un congrès ouvert par la chanson de Moustaki, « Sans la nommer » ventant la révolution permanente. Le secrétaire général de l’UD 13 a tout d’abord commencé par rappeler l’histoire des luttes dans la région depuis 1936 et la guerre d’Espagne jusqu’aux luttes des marins, traminots et bien sûr celle des Fralib.
Dans son discours d’introduction, Philippe Martinez a fait un balayage large des motifs de révolte et de mobilisations : Goodyear, Air France, Loi travail, sans papiers, répression des militants, fermeture des locaux syndicaux. Avec une critique virulente de la politique internationale du gouvernement y compris le soutien à Israël dans l’écrasement du peuple palestinien. Affirmant le soutien à la mobilisation à Mayotte. Plus globalement Philippe Martinez a insisté sur la nécessaire humilité sur les questions internationales.
La deuxième partie de son intervention abordait la mobilisation contre la loi travail. Reconnaissant le rôle d’aiguillon de la pétition contre la loi et de l’action des jeunes. Martinez a affirmé qu’il fallait poser la question de la grève reconductible mais que celle-ci ne pouvait se décider démocratiquement dans des AG de salariés. Sur le syndicalisme rassemblé (accompagnement de sifflets), il a reconnu que dans la foulée de l’accord sur la représentativité de 2008, on était allé trop loin dans l’unité avec la CFDT. Ce travers a été corrigé dans le cadre de la mobilisation actuelle avec les deux regroupements différents en fonction de la volonté de se battre à des niveaux différents. Pour la suite de la mobilisation, Martinez a reconnu le rôle positif du mouvement des Nuits debout et engagé l’ensemble des militantEs à mobiliser le plus largement possible les 28 avril et le 1er mai.
La troisième partie portait sur la CGT, elle-même. Affirmant que les attaques portées contre elle car « « on ne tire pas sur les morts ». Se félicitant des 78 % de délégués présents pour la première fois à un congrès confédéral, le secrétaire général de la CGT a souligné la présence d’autant de femmes que d’hommes parmi les 980 déléguéEs.
Sur le fond, Martinez après avoir réaffirmer le positionnement de la CGT comme syndicat de masse et de classe, est revenu sur la centralité de la bataille pour les 32h (permettant la création de 4,5 millions d’emplois) et de la question du travail. Sur les questions des structures, Martinez est revenu sur la nécessité de donner à toutes les couches de salariéEs de rejoindre le syndicalisme dans le cadre d’un débat sans procès d’intention.
Dans la foulée le bureau a passé en revue les invitéEs présentEs ce jour. Au milieu des applaudissements traditionnels saluant pêle-mêle Thibault, Viannet, Séguy, LO, le PG (dont Mélenchon), l’UNEF et la FSU, le représentant de la CFDT a été largement sifflée et huée et celui du PS a soulevé une véritable bronca ponctué de « retrait de loi El Khomri ». Le tout, sans réaction du bureau et justifié par Martinez lors de la conférence de presse : « le congrès s’est exprimé ».
Au total, une ouverture de congrès qui paraît déconnecté de la mobilisation en cours et du nécessaire débat sur la stratégie de lutte, de la prise de responsabilité de la CGT dans cette lutte. Une proposition d’insertion d’un débat de deux heures et de vote d’un appel à la mobilisation du congrès été faite. L’acceptation de cette modification de l’ordre du jour sera un premier test sur le positionnement de la direction confédérale et de la capacité du congrès à peser sur ce positionnement.
Après un démarrage difficile suite à un rapport d’activité peu mobilisateur, l’attention a été polarisée par la polémique suscitée par l’affiche « info’com-cgt’ dénonçant les violences policières avec l’injonction de Cazeneuve pour que Martinez désavoue l’affiche. Lors d’une conférence de presse improvisée les journalistes ont littéralement harcelé le secrétaire général de la CGT pour, là aussi qu’il désavoue le syndicat. Dans le congrès, c’est d’abord l’annonce de l’acceptation de la rédaction d’un appel du congrès sur la mobilisation par le...bureau du congrès et l’accord pour un vote du rapport financier par mandats.
Le vote sur le rapport d’activité va mettre en évidence une grogne alimentée par les séquelles de l’affaire Lepaon, largement partagée. Et donc un niveau inédit de Contre (31%) avec 68 % de Pour et 13 % d’Abstentions (un mode décompte bien particulier….).
Étonnamment, c’est à partir du rapport financier que la température va remonter. La stagnation des effectifs reconnue par la direction au cœur des débats n’est pas spécialement qui reviennent sur la nécessité de la transparence notamment en matière financière, la place des cotisations et de la publicité dans le financement de la CGT. En point d’orgue l’intervention d’un représentant du syndicat SNAM-CGT « Pour que tous s’engagent pleinement peut être nous devrons régler définitivement la question de l’illettrisme » largement plébiscité.
Au total un vote mitigé sur le rapport financier : pour : 72,9 %, contre : 27,1 % et abstentions : 12,1 %.
Mais c’est sur le débat sur le thème 1 du document d’orientation que le congrès va réellement s’emballer malgré une introduction de nouveau atone. C’est tout d’abord la (non) prise en compte des amendements qui va susciter débats et contestations jusqu’au mercredi matin. Mais ce sont surtout plusieurs interventions sur la stratégie de lutte qui va soulever l’enthousiasme : nécessité de se démarquer clairement du syndicalisme d’accompagnement et critique virulente du gouvernement et l’urgence d’un positionnement clair de la confédération sur la suite de la lutte contre la Loi travail.
Et à des fins d’interventions salués par des « tous ensemble, tous ensemble, non à la loi El Khomri. »
Le 51ème congrès de la CGT s’est ouvert au coeur de la mobilisation contre la loi travail. Une mobilisation dans laquelle la CGT a pris une place prépondérante ce qui place la direction confédérale en position favorable. Une direction qui peut se féliciter d’avoir réussi a éviter un congrès exceptionnel dans la foulée de l’affaire Lepaon.
Martinez à la recherche du consensus
Petite mais bonne surprise avec l’ouverture du congrès par la chanson de Georges Moustaki, « Sans la nommer » faisant l’apologie de la révolution permanente. Dans son rapport d’ouverture le secrétaire général, Philippe Martinez à fait un large tour des motifs de révolte et de mobilisations : Goodyear, Air France, Loi travail, sans papiers, répression des militants, fermeture des locaux syndicaux. Pour embrayer sur une critique virulente de la politique internationale du gouvernement y compris le soutien à Israël dans l’écrasement du peuple palestinien et affirmer le soutien à la mobilisation à Mayotte.
Revenant sur la mobilisation sur la loi, Martinez a mis en question la stratégie du syndicalisme rassemblé (dont la seule évocation provoque des sifflets) et évoquer la nécessité de mettre en débat la grève, voire la grève reconductible, dans les assemblées générales de salariéEs avant d’engager l’ensemble des militantEs à mobiliser le plus largement possible les 28 avril et le 1er mai.
Et, pour finir le secrétaire général a relancé le débat sur la structuration de la CGT pour répondre à la nécessité de donner à toutes les couches de salariéEs la possibilité de rejoindre le syndicalisme.
Que fait la CGT ?
Au total, une ouverture de congrès déconnecté de la mobilisation en cours et du nécessaire débat sur la stratégie de lutte, de la prise de responsabilité de la CGT dans cette lutte. Une critique largement reprise dans les interventions dans le cadre du débat sur le rapport d’activité. Malgré la remise à l’ordre du jour de la posture de la citadelle assiégée au regard des déclarations de Gattaz, cette réalité s’est traduit par un taux de rejet inédit du rapport d’activité avec 33,1 % de contre et 13 % d’abstention.
La présentation d’une déclaration du congrès sur la suite de la mobilisation ne comblera probablement complètement ce fossé tout en restant dans le domaine d’un affichage sans conséquences pratiques.
La CGT avait réussi à stopper la chute des effectifs et de sa représentative. L’affaire Lepaon et sa fausse conclusion ont mis en cause le modeste rétablissement. Les critiques qui ressortent des interventions relèvent à la fois de l’orientation jugée souvent timorée que des atteintes à la démocratie syndicale. Certaines liant clairement les deux dimensions. Dans ce domaine, il n’est pas sûr que la conclusion d’un représentant du syndicat SNAM-CGT « Pour que tous s’engagent pleinement peut être nous devrons régler définitivement la question de l’illettrisme »ait été comprise dans toutes ses conséquences.
Quand le nombre d’adhérentEs stagne à moins de 700 000 adhérentes, les questions sur la perte à la 1ère place de la CGT dans la hiérarchie syndicale cristallisent les interrogations sur sa stratégie.
Dans la foulée des contestations de la fin de journée de mardi, les débats se concentrent sur la question des modalités du développement du syndicalisme. Défense des Unions locales, méfiance face à la mise en place de structures régionales. De nombreuses interventions de militantEs des services publics pour pointer la faiblesse du document sur les questions territoriales et la casse des services publics. Ses interventions pour souligné l’importance de s’adresser aux précaires et aux précaires parmi les précaires, les sans-papiers.
Au travers des débats interactifs, la volonté de durcir les critiques contre le gouvernement, la CFDT revient dans le débat et conduit à un nouvel « échauffement » de la salle.
Le résultat du vote sur « la démarche syndicale « rend compte de cette ambiance avec 30,5 % de contre et 9,1 % d’abstentions.
Ensuite, le congrès passe au débat sur l’appel du congrès sur la mobilisation. Malgré plusieurs interventions visant à « gauchir » le texte, aucune modification ne sera acceptée. Au total, un texte qui appelle à la grève interprofessionnelle pour le 28 et met en débat la reconduction dans les AG de salariéEs. L’appel résultat de compromis est largement voté à mains levées.
Un appel interprété par la « grande » presse comme un durcissement, un « gauchissement » de la CGT.
Les tensions qui se sont de nouveau jour lors de la discussion sur modalités de rédaction du projet d’appel du congrès s’amplifient à la reprise du débat sur le point 3 du document d’orientation portant sur le rapport aux organisations syndicales, politiques et associatives. La multiplication des interventions contre le « syndicalisme rassemblé » ne fera modifier le document initial pourtant mis en cause par l’intervention initiale de Martinez. Et au final, cette partie du texte récoltera plus de 36 % de votes « contre ».
En introduction du débat sur les questions internationales nous est présenté un récit de la mobilisation contre les entreprises américaines de restauration rapide pour le doublement du SMIC et une campagne en France pour obliger Mac Do à payer les impôts dus à l’état français. La coopération des syndicalistes américains, des syndicalistes français du commerce et des impôts présentée comme exemplaire. Sur le syndicalisme international, un débat classique avec les dénonciations des turpitudes de la CES et des rappels plus ou moins nets de l’appartenance de certaines fédérations à la FSM. Avec seulement 24 % de vote « contre » cette partie fait un des meilleurs score du congrès.
Après une laborieuse présentation "explicative", peu de débat autour de la modification des rapports juridiques » entre les syndicats « frères » des DOM et la CGT permettant de mettre en commun la représentativité des uns et des autres. Résolution votée « à l’ancienne » avec plus de 90 % de « pour ».
De la même façon peu de vagues autour de la place des retraitéEs. Tout le monde avec une cotisation à 1 % et une femme, un homme, égale une voix. Plus de 90 % de « pour »
Entre temps le vote sur la totalité du document d’orientation met en évidence une opposition aux multiples facettes qui atteint un niveau inédit avec près de 30 % de « contre » qui se traduit, en intégrant les abstentions par seulement 62,77 % de « pour ». Un débat interactif dans lequel reviennent pêle-mêle le syndicalisme rassemblé, l’absence des Goodyear et de la question de la criminalisation du mouvement social quasiment absente du document.
Pour clôturer les débats, une tout aussi laborieuse introduction de la procédure de construction de la Commission exécutive confédérale. La nécessité de représenter les territoires, les professions, les catégories sociales (notamment les cadres) et l’obligation de parité hommes/femmes sont mis au service d’une sélection efficace qui limite la place des porteurSEs de critiques. Le seul débat portera sur la représentation de la Fédé santé rendu très crispé par les affrontements internes à la Fédé. D’autant plus que les représentants de cette fédération n’avaient pas pris leur place dans les débats d’orientation. Au final cela permet de « punir » une fédération qui a osé se débarrasser d’une direction trop lourdement aligné sur la ligne confédérale jusque dans « l’affaire Lepaon ».
Un congrès qui, las de l’étalage des querelles internes, soumis aux multiples attaques relayées par les médias et instrumentalisées par la direction, adopte la direction confédérale avec 91 % de voix.
Deux des derniers votes du 51ème congrès de la CGT le résume mieux que tout. Le document d’orientation n’est approuvé que par 62,77 % des congressistes et la nouvelle direction confédérale est élue avec 91 % de voix.
Le contexte de mobilisation sociale a conduit direction à prendre la posture légèrement radicale de l’introduction de Philippe Martinez. Cette posture a eu un double effet. D’abord un certain désarmement des critiques ciblant une mollesse dans l’orientation. Et, dans le même temps un discours général des médias dénonçant gauchissement, raidissement, durcissement de la CGT avec une instrumentalisation de l’affiche dénonçant les violences policières.
Dans le déroulement du congrès cela a permis de laisser s’exprimer une volonté de radicaliser le discours public tant dans la critique du gouvernement que celle de la CFDT. Mais la moulinette de la commission des amendements n’a pratiquement rien laissé passer, y compris la mise au placard du « syndicalisme rassemblé » pourtant évoquée par le secrétaire général.
La combinaison de la réactivation du sentiment de « forteresse assiégée » et les difficultés bien réelles à porter la mobilisation au niveau exigé par la violence des attaques gouvernement-patronat ont largement contribué à tempérer les ardeurs de celles et ceux qui souhaitaient s’opposer à la ligne confédérale.
Le refus, tant dans le document d’orientation que dans le déroulement du congrès de prendre en compte la répression, la criminalisation du mouvement social et notamment syndical est une faute politique dont les conséquences peuvent être lourdes dans le contexte de « guerre sociale » mis en scène par le pouvoir.
Reste à vérifier si l’orientation votée permettra à la direction confédérale de répondre aux échéances de la mobilisation en cours et de faire face aux échéances électorales à venir, dans lesquelles se jouera l’enjeu symbolique de la 1ère place dans la hiérarchie des organisations syndicales. L’Appel du congrès, tout en étant porteur d’ambiguïtés, peut être compris comme un engagement à construire la mobilisation. Un succès rebattrait les cartes. Un échec serait lourd de conséquences tant en ce qui concerne le rapport de forces que l’évolution de la CGT.
La dernière séance du congrès était consacrée à l’annonce des résultats de l’élection des membres de la Commission Exécutive Confédérale. Sans surprise, la liste proposée par les organisations du CCN a été largement approuvé par les 1000 délégués avec des scores entre 84 et 97%. Pas de surprise non plus concernant l’élection de Philippe Martinez comme secrétaire général de la confédération. Il faut dire qu’avant même l’ouverture du congrès lundi, le programme des travaux distribué aux congressistes annonçait que le discours de clôture lui reviendrait...
Plus intéressant a été le contenu de ce discours qui a pris en compte les très nombreuses interventions sur la nécessité de travailler à la construction de la grève reconductible pour gagner le retrait de la loi Travail. Réaffirmant un syndicalisme de classe et de masse, la bataille pour les 32h et une autre répartition des richesses, sous oublier la lutte contre la criminalisation du mouvement syndical (Air France, Goodyear…), le secrétaire général a insisté sur l’appel du congrès adopté mercredi après-midi.
Insistant sur la nécessité d’organiser partout des assemblés générales du personnel, l’importance pour la CGT d’aller à la rencontre des salariés dans les entreprises démunies de syndicat, le n°1 de la CGT a appelé au TOUS ENSEMBLE dès le 28 avril, jour de grève et de manifestations. Il faut que la grève soit massive a-t-il martelé pour que la CGT comme les salariés posent concrètement la question de la reconduction en indiquant que les militants de la CGT doivent être confiants.
Après un « on lâche rien » et une salve d’applaudissement, les centaines de délégués ont chanté spontanément L’Internationale.
Voilà bien longtemps qu’on avait vu un congrès confédéral se conclure dans un si fort moment d’unité et de combattivité. Espérons que les 1000 délégués du congrès seront retransmettre cette combattivité à l’ensemble des bases de la CGT pour que la grève reconductible prenne une réalité concrète dans les jours à venir.