Par Gaël Klement, le 4 novembre 2015
Dans un entretien au quotidien Le Monde publié ce mercredi, la ministre de la Santé Marisol Touraine est fière d’affirmer que « dès le printemps 2016, on ne pourra plus être exclu du don du sang en raison de son orientation sexuelle ». Si c’était le cas, il s’agirait effectivement d’une bonne nouvelle. Mais elle précise aussitôt les conditions : pour donner son sang, un homosexuel devra s’être abstenu pendant 12 mois de tout rapport sexuel, même protégé ; pour un don de plasma, il devra connaître une relation de couple stable depuis au moins 4 mois ou ne pas avoir eu d’activité sexuelle pendant la même période.
La ministre ose prétendre que « c’est la fin d’un tabou et d’une discrimination ». Pourtant, un homme hétérosexuel n’est exclu du don du sang que durant les 4 mois qui suivent un changement de partenaire ou un rapport non protégé…
En réalité, c’est surtout un bel exemple de démagogie politicienne : faire la publicité d’une décision allant prétendument dans le sens de l’égalité, tout en ménageant la frange la plus réactionnaire de la population et du monde médical.
Depuis une circulaire du 20 juin 1983, ceux que l’on nomme les « HSH » (« hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes ») sont exclus du don du sang, car considérés comme appartenant à un « groupe à risque ». Une réponse positive à la question « Avez-vous eu des rapports sexuels entre hommes ? » lors de l’entretien préalable suffit pour se voir exclu à vie du don du sang. Sous un vernis prétendument scientifique, cette mesure entretient un schéma discriminatoire selon lequel il existerait des populations à risque, alors qu’il n’y a en réalité que des pratiques à risque. Mais c’est cette fiction homophobe que le gouvernement refuse de remettre en cause.
« Pour que notre approche soit incontestable, je la veux étayée scientifiquement », a argumenté Marisol Touraine. Aucune donnée véritablement scientifique ne justifie pourtant cette politique. Selon l’Institut national de veille sanitaire (InVS), 2500 hommes homo- ou bisexuels ont découvert leur séropositivité en 2013, c’est-à-dire moins que les 3400 hétérosexuels/elles qui l’ont découverte la même année. Les autorités sanitaires, comme le Comité consultatif national d’éthique, justifient la différence de traitement par la forte « prévalence » du VIH parmi les hommes homosexuels, estimée à environ 14 %, qui est très supérieure à celle évaluée chez les hétérosexuels/elles. Mais la prévalence étant le nombre de personnes vivant avec le VIH dans une population déterminée, est-il par conséquent nécessaire que les homosexuels malades du sida meurent plus massivement et rapidement, comme au début de l’épidémie, pour que la ministre considère que la levée immédiate et sans condition d’une discrimination homophobe est « étayée scientifiquement » ? La question de la « fenêtre sérologique » – période de 3 à 12 semaines, qui va de l’infection par le VIH à la production d’anticorps signalant le virus – permet à certains de justifier les conditions drastiques du gouvernement pour l’autorisation du don du sang par les HSH. Mais si cette « fenêtre sérologique » peut varier d’un individu à l’autre (l’Organisation mondiale de la santé l’évalue à 4 semaines chez la plupart des personnes), elle n’est nullement basée sur une orientation sexuelle en particulier.
« Les premiers dons nous permettront de réaliser des études et, s’il n’y a pas de risques, les règles qui s’appliquent aux homosexuels seront rapprochées des règles générales l’année qui suit », a expliqué la ministre. En attendant, son gouvernement poursuit la stigmatisation. Lors du scandale du sang contaminé, ce ne sont pourtant pas les homosexuels – déjà exclus du don – qui ont mis en danger les transfusés en 1984-1985, mais les amis politiques de Marisol Touraine !
Si le gouvernement voulait réellement limiter le risque transfusionnel, il ferait rédiger sans délai un nouveau questionnaire préalable au don du sang, plus précis, basé sur des données fiables et non discriminatoires, qui prendrait par exemple en compte le fait d’avoir eu ou non des rapports sexuels systématiquement protégés et d’avoir effectué un test de dépistage. S’il s’intéressait au sort des malades, il favoriserait l’accès aux soins plutôt que de supprimer des dizaines de milliers d’emplois dans les hôpitaux. Pour combattre réellement l’épidémie, il faudrait commencer par financer de façon conséquente un plan de prévention. Il faudrait exproprier, sans rachat ni indemnité, les laboratoires et groupes pharmaceutiques, pour les placer sous le contrôle des salariés, de la population et des associations de malades, afin d’assurer l’indépendance de la recherche vis-à-vis des intérêts financiers d’une minorité capitaliste, qui vit du sida et d’autres affections pendant que les malades en meurent. Mais de tout cela, le gouvernement se moque, et dans ce domaine aussi, nous ne pouvons avoir confiance qu’en nous-mêmes et en nos luttes.