Le grand clash n’aura, finalement, pas eu lieu. Dimanche 6 septembre, en fin de matinée, il semblait encore s’annoncer. Des partisans du vieux chef, Jean-Marie Le Pen, se déclaraient prêts à forcer manu militari l’entrée de l’Université d’été du FN, réunie à Marseille, « s’il nous le demande ». Depuis la veille, les militants du « canal historique » étaient réunis de leur côté dans le 13e arrondissement de Marseille, pas très loin du lieu où était réuni le FN version « mariniste ».
Au final, aucun incident violent entre les deux fractions n’a eu lieu, et Jean-Marie Le Pen fit une déclaration ironique faisant entendre que son cinéma avait (de fait) bien servi sa fille et la réunion de son parti, lui attirant une forte attention médiatique. Mais le vieux « président », formellement exclu du FN depuis le 20 août – une « suspension » antérieure ayant été cassée par les tribunaux, juillet dernier – ne compte pas en rester là. Déjà a-t-il annoncé, samedi 5 septembre, qu’il va lancer sa propre formation : le « Rassemblement bleu-blanc-rouge », dont le nom n’impressionne pas par une grande originalité, reprenant des termes ayant cours au FN depuis au moins trente ans (« Rassemblement national », « Fête BBR », plus tard « Rassemblement bleu Marine »). Selon ses propres mots, cette nouvelle structure n’est pas censée concurrencer le FN en tant que parti politique, mais être associée au FN en tant qu’« association ». La direction actuelle du parti ne se montrait pas enthousiaste du tout, dans ses premières réactions.
Le feuilleton de l’exclusion de Jean-Marie Le Pen par Marine Le Pen avait marqué l’actualité du FN pendant plusieurs mois. Désormais, ce sera cependant le début de la campagne pour les élections régionales de décembre prochain qui prendra le dessus. Marine Le Pen a annoncé qu’elle lancera sa campagne à elle, pour la région Nord Pas de Calais-Picardie, le 20 septembre. Puisque les caciques du parti voudront voir validée leur investiture aux élections – l’une des rares, en France, à se dérouler à la proportionnelle et donnant donc toutes ses chances au FN d’avoir des sièges -, cela limitera les contestations, dans un prochain avenir. Qui protestera, risque de ne pas avoir de place (éligible) sur les listes.
La ligne appliquée par Marine Le Pen pour « dédiaboliser » - selon l’expression consacrée - le FN semble avoir gagné, aujourd’hui. On peut y voir, en quelque sorte, une victoire posthume de Bruno Mégret (exclu par Jean-Marie Le Pen en 1999), qui avait à son époque développé des thématiques reprises aujourd’hui : un discours lissé, axé sur des questions sociales et économiques.
La ligne de ces dernières années a été -dominée par le positionnement de Florian Philippot, vice-président du FN et ancien chevènementiste, passé ensuite par le « souverainisme » de droite. Celui-ci se prononce pour un Etat fort, avec une forte intervention dans le domaine économique. Ce positionnement, qui a marqué le programme électoral de Marine Le Pen en 2012, est cependant fortement contesté depuis la fin du printemps 2015. Certains, dont Jean-Marie Le Pen – cherchant à régler des comptes dans le parti – a repris les critiques, dénoncent une ligne prétendument « gauchiste », comme le fait d’ailleurs aussi la droite UMP/LR. Depuis le mois de juillet, Marine Le Pen a commencé à apporter des corrections libérales à sa ligne, en matière économique : promesse d’un Etat toujours vu comme « stratège » mais « pas intrusif » (dans les affaires du patronat), mise en avant de l’idée d’un possible retour aux 39 heures…
Les fondamentaux idéologiques restent bien évidemment les mêmes : lutte contre immigration, insécurité, islamisme (voire l’islam tout court), impôts ; défense de l’identité. Le côté continuité pèse ici nettement plus lourd que le côté rupture. Marine Le Pen a fortement confirmé cela avec son discours de rentrée du samedi 29 août à Brachay, puis son intervention à l’Université d’été de Marseille. Les deux fois, son discours était très fortement axé sur l’immigration, dans le contexte de la « crise des migrants » (selon les terme consacré par les médias dominants) dans toute l’Europe. Insistant sur le fait qu’elle n’a « pas pleuré » à la vue de l’image du petit Syrien kurde Aylan Kurdi, mort à trois ans sur une plage en Turquie, et que l’émotion ne devait pas « nous empêcher de penser », elle a embrayé sur un discours brutal contre les nouveaux entrants. Même Nicolas Sarkozy, qui est loin d’être un tendre dans le domaine, vient de critiquer sa « brutalité »…
Les ruptures idéologiques restent donc marginales, la rupture fondamentale réside dans l’approche différente de l’arrivée à la gestion des affaires (négligée par Jean-Marie Le Pen selon la direction actuelle) ; dans cet objectif, les dirigeants exercent un contrôle des propos en ce qui concerne l’antisémitisme et l’homophobie. Ceci afin d’éviter les « dérapages » les plus nuisibles à la stratégie du parti.
Avec l’exclusion de Jean-Marie Le Pen, le message que le FN veut adresser aux électeurs est que l’extrémiste ingérable a été mis dehors et qu’il ne reste au FN que des gens sérieux prêts à prendre le pouvoir. Si le moment actuel est difficile pour le FN mariniste, comme le dit Philippot dans l’hebdomadaire L’Express : « Il y a un petit coût pour le court terme, mais un gain énorme pour les moyen et long termes ».
Pour le moment il n’y a pas d’impact à la sortie de Jean-Marie Le Pen du FN. Selon un sondage paru dans Le Figaro du 24 août : « 85% des Français n’ayant pas voté FN en 2012 ne comptent pas le faire davantage aux prochaines élections. Côté sympathisants du FN seuls, un peu plus de la moitié (53%) disent approuver la sanction. 22% la désapprouvent cette mesure et 25% y sont indifférents. »
Après que ce cap soit passé, les voyants semblent quand même être au vert pour le FN. Les sondages les plus récents, parus le week-end des 5 et 6 septembre, donnent Marine Le Pen en tête du premier tour de la présidentielle de 2017 avec 29% ou 27% selon le candidat choisi par LR.
A nous, aujourd’hui, de développer le plus possible des collectifs unitaires les plus larges possibles qui puissent être capables d’intervenir à chaque fois que le FN fait des sorties.
Lily Park et Bertold Du Ryon
Un signe des temps, ce n’est pas le DPS, le service d’ordre historique du FN, qui a assuré la sécurité de l’université d’été du FN, mais la société d’Axel Lousteau, ancien membre du GUD. La direction du FN craignait peut-être que le DPS soit complaisait en cas d’envahissement de l’événement par les fidèles de Jean-Marie Le Pen.
Ce sont aussi les anciens du GUD qui ont monté la société de financement de Marine Le Pen, Jeanne, au dépend de celle de son père, Cotelec.
Ces anciens du GUD maintiennent les réseaux négationnistes et antisémites chers à la période précédente du FN… La “dédiabolisation” montre ici encore ces limites : il s’agit principalement d’un couche de peinture pour permettre l’accès aux institutions. Mais les murs restent largement les mêmes que ceux de l’ancien FN.