Tribune de Philippe Poutou le 9 septembre 2016
Source : Médiapart
La situation à Calais est effroyable : effroyable pour les milliers de réfugiés, le plus souvent Syriens, qui après avoir échappé à la mort dans leur pays et leur exode, cherchent à braver les derniers obstacles pour atteindre la Grande Bretagne. Ils sont près de 10000 à survivre dans la boue du camp de la Lande, à tenter de s’embarquer comme clandestin dans un des camions qui transitent par le tunnel.
Calais, c’est aussi une des villes les plus touchées par les politiques patronales et gouvernementales menées depuis 30 ans. Après la fermeture de Seafrance et la quasi-disparition de l’industrie de la dentelle, c’est une des villes où les familles ouvrières ont les revenus les plus faibles, où le taux de chômage dépasse les 15%.
Pour Cazeneuve et son gouvernement, comme pour celui de Sarkozy, le drame vécu par les migrants n’est pas une question d’urgence sociale à régler pour permettre à tous les migrants d’être accueillis comme ils le méritent, c’est une simple question de police : il faut les disperser, les expulser, les rendre invisibles. Le droit d’asile a été jeté, par ce gouvernement, aux oubliettes des droits démocratiques.
Mais par contre, nous n’acceptons pas que la présence et les problèmes que crée la présence permanente de 10000 migrants dans et autour de Calais soient utilisés, instrumentalisés pour une nouvelle campagne raciste, xénophobe et encore une fois, après l’épisode du « burkini », islamophobe. En refusant de créer à Calais de vrais centres d’accueil, des services de santé et d’assistance, en détruisant régulièrement tous les abris en durs construits par les migrants et les associations, le message de l’Etat est clair : vous n’avez rien à faire « chez nous », vous disparaîtrez, de gré ou de force ! Mais la réalité ne peut pas disparaître. La réalité est que la violence de la guerre a poussé hors de Syrie 5 millions d’hommes et de femmes, d’enfants, et des dizaines de milliers d’autres hors d’Erythrée et d’Afghanistan. La France ne voit arriver qu’une infime partie de cette vague de réfugiés. Quand la France reçoit 5000 Syriens, la Suède en accueille dix fois plus, l’Allemagne 300 fois plus. Le problème en France est le recul de la solidarité élémentaire entre les êtres humains a été ramené au niveau zéro par les positions réactionnaires, racistes et islamophobes que véhiculent désormais les dirigeants du PS avec autant de force que ceux de droite… et que le Front national n’a plus qu’à se taire, tant sa politique est appliquée avec zèle par ceux qui prétendent combattre ses idées. Cette dizaine de milliers de réfugiés à Calais est volontairement laissée à l’abandon, sans cesse refoulée, chassée, réprimée, ses abris sont détruits et les associations qui l’aident ne reçoivent que menaces et intimidations.
La population locale est évidemment excédée par cette situation où elle se sent une nouvelle fois, elle aussi, laissée à l’abandon dans cette surpopulation, tout comme elle a été laissée à l’abandon par les politiques de chômage et d’austérité menées contre elle. Mais ce qui est ignoble, évidemment, est que cette exaspération du quotidien est instrumentalisée, dévoyée par une campagne raciste « pour la sécurité » faisant des réfugiés des criminels, utilisée pour justifier une politique d’expulsion, de répression contre des hommes et des femmes déjà victimes des guerres et des bombardements, des hommes et des femmes à qui on refuse leurs droits élémentaires. La manifestation de lundi dernier était nauséabonde.
Cette politique ignoble ne commence pas à Calais, évidemment. Elle a sa source aux frontières de l’Europe forteresse, en Grèce et au large de la Méditerranée. 10000 migrants sont morts en Méditerranée depuis le début de 2014, presque 3000 depuis le début 2016. Cet assassinat quotidien, ce sont les dirigeants européens qui en portent la responsabilité écrasante. La seule intervention menée par les Etats avec Frontex et la structure de garde-côtes et gardes-frontières qui va être mise en place vise à contrôler les frontières, les rendre plus hermétiques, s’opposer au « trafic de migrants » et à la « menace terroriste ». C’est bien cette politique de fermeture des frontières, de chasse aux migrants, de refus d’accueillir les hommes et les femmes chassé-e-s par des guerres dont bien souvent l’Europe est directement responsable qui entraîne chaque jours des naufrages et des mort de dizaines, de centaines de réfugiés.
Cette politique ignoble rappelle tristement celle menée par l’Europe dite civilisée et démocratique en 1938, lors de la Conférence d’Evian : alors que les Allemands et Autrichiens juifs subissaient déjà les mesures de discrimination, de persécutions, d’assassinats par les nazis, que s’élaboraient les politiques de déportation et d’extermination qui allaient amener aux 6 millions de morts de la « solution finale », l’Angleterre, la France, les Etats-Unis et les autres pays « démocratiques » décidèrent consciemment de fermer leurs frontières, de refuser de délivrer des visas aux centaines de milliers de femmes, d’hommes, d’enfants qui voulaient fuir le nazisme pour échapper à la mort. Cette politique durera pendant la guerre, alors que les gouvernements anglais et américains connaissaient l’existence des camps d’extermination des juifs.
500000 hommes et femmes ont déjà trouvé la mort en Syrie depuis le début de la révolte contre le dictateur Assad. A 80 ans de distance, c’est la même lâcheté qui s’est mise en place avec des arguments souvent similaires : « capacité d’accueil », « risque de tension sociale », « risque d’arrivée d’espions et de criminels ». Empêcher les Syriens de quitter leur pays, c’est bien les vouer à la mort et à la misère, en Syrie ou en cherchant à fuir la Syrie malgré ce blocus.
C’est bien cette question qui se joue en ce moment à Calais.
En 1978, en quelques mois, la France a accueilli sans problème près de 130000 réfugiés vietnamiens, cambodgiens et laotiens, fuyant leur pays. Le gouvernement pu même à l’époque soutenir l’affrètement d’un bateau de Médecins sans Frontières pour aller directement chercher les « boat people » qui dérivaient en Mer de Chine. Des centres d’accueil furent mis en place, des cartes de travail provisoires accordées avec une accession accélérée au statut de réfugiés. Tous les intellectuels saluèrent l’initiative. Quelques différences peut-être : ces hommes et ces femmes fuyaient des régimes dits communistes alors que l’affrontement avec l’URSS était encore au premier plan, ils ne venaient pas de pays musulmans… et le Front national ne donnait pas encore le La d’une politique raciste, xénophobe et islamophobe. Leur installation dans le pays fut rapide et sans problème bien que le pays fut alors en pleine montée du chômage qui avait doublé en quelques années.
Tout cela prouve bien que la question de l’accueil des réfugiés est uniquement une question de choix politique, pas de capacité d’accueil. Il est lamentable de voir les medias français quasiment se réjouir de la défaite d’Angela Merkel et de la montée de l’extrême droite lors de l’élection de Mecklembourg Poméranie, comme si cela prouvait a posteriori que les dirigeants politiques français ont eu raison depuis un an de mener une politique de refus d’accueil des migrants. Et comme si cela éviterait la montée du Front national…
Il faut nettoyer la fange réactionnaire nauséabonde qui pollue la vie politique de notre pays. Il faut se débarrasser des miasmes islamophobes, réactionnaires qui se répandent dans le gouvernement, le PS, la droite, les medias tous contrôlés par les grands groupes financiers. Depuis plusieurs mois, la population arabe et noire de ce pays est systématiquement stigmatisée, mise en péril par les interventions policières, devenant la nouvelle « classe dangereuse ».
Et comment ne pas faire le lien avec ce que nous avons vécu pendant 4 mois au printemps dernier ?
Là, c’est la solidarité des travailleurs et des travailleuses qui s’est exprimée pour s’opposer à la loi El Khomri et son monde. Dans les grèves et les manifestations populaires, sur les places des Nuit Debout, nous nous sommes rassemblés pour dénoncer l’austérité appliquée en France et dans toute l’Europe. Et, là nous nous tournions contre les vrais responsables du chômage, de l’austérité, de la précarité et de la misère, de la mise en pièce des services publics et de la Sécurité sociale, des problèmes de logement : les capitalistes, les banquiers et les dirigeants politiques qui les servent.
Alors, pour mieux tenter d’étouffer cette colère, les dirigeants du PS, Manuel Valls en tête, déversent depuis l’été un torrent de boue raciste et islamophobe.
Manuel Valls en tête, ils ont tous à la bouche la « défense de la République ».
Ce sont les mêmes qui depuis des années ont mis en pièce tout ce que nos anciens, des générations de travailleuses et de travailleurs, ont obtenu par leurs luttes. Ils liquident jour après jour nos droits sociaux, nos libertés démocratiques. Alors, face à cette destruction au service des grands groupes capitalistes et financiers, que reste-t-il pour maintenir un système, une « République » qui apparait au grand jour comme n’étant plus qu’un instrument au service des possédants ? Quelles sont ces « valeurs de la République » qu’ils proposent comme rempart ? On comprend très vite qu’après avoir supprimé toute référence aux droits sociaux, à une République sociale et démocratique, il ne reste qu’un repli identitaire sur « notre civilisation », « nos traditions » de « vrais Français de souche » ! Robert Ménard donne le ton : La France est blanche et catholique ! L’armée, la police, l’Eglise deviennent les derniers étendards de ce lambeau de République. Le paradoxe est que ce repli républicain qui cache mal un repli identitaire est vanté à la fois par le fils d’un couple d’immigréEs espagnol et suisse et le fils d’un couple d’immigréEs grec et hongrois, preuve s’il en fallait une que la France n’est pas et n’a jamais été « de souche », que nous sommes toutes et tous des enfants d’immigrés. Et par-dessus le marché, ils osent invoquer les droits des femmes dans l’affaire du « burkini » pour mieux vouloir encore leur interdire le droit de disposer librement de leur corps et de leur habillement. Ils veulent diviser et détourner les populations laborieuses de leurs vrais ennemis, construire un ennemi intérieur islamiste qui au bout du compte devient toute la population arabe, c’est à dire une partie de nous-tous.
Alors oui, il va falloir de l’air ! De l’air pour ouvrir les fenêtres et les frontières ! Ressouder toutes les solidarités pour s’unir contre ceux qui veulent nous conduire vers des marais nauséabonds.
Refuser les pièges réactionnaires et se battre tous ensemble pour l’ouverture des frontières, l’accueil des migrants, la liberté d’installation, des emplois et des logements pour toutes et tous. Reprendre dès le 15 septembre le chemin des mobilisations contre la politique patronale de Valls et de Hollande. C’est l’agenda autour duquel nous devons tous nous rassembler dans les jours qui viennent
Philippe Poutou
Porte parole du NPA et candidat à la présidentielle 2017