Au printemps dernier, les Universités toulousaines se sont vu retirer l’IDEX (le dispositif Initiative Excellence) qui rapportait 25 millions d’euros par an mais surtout qui est un label sensé valoriser l’ « excellence » de l’enseignement supérieur et de la recherche à Toulouse. La raison invoquée n’est pas scientifique, il s’agirait d’un problème de « gouvernance » car la structuration actuelle de l’Université de Toulouse est une fédération d’établissements autonomes les uns des autres, ce qui est insatisfaisant pour le gouvernement.
Les directions d’Université se lancent donc dans la « reconquête de l’IDEX ». Le Conseil d’Orientation Stratégique de l’Université fédérale de Toulouse est clair, et dans un rapport rendu le 4 décembre, les préconisations pour récupérer l’IDEX vont dans le sens de la fusion des 3 Universités toulousaines et de plusieurs écoles d’ingénieurs (INP, INSA, ISAE,…) avec perte irréversible de la personnalité juridique des établissements.
Suite à ce rapport, l’ISAE et l’UT1 refusent de se dissoudre dans ce nouvel établissement. Le projet de reconquête de l’IDEX sera donc porté par 4 établissements : UT2 (Jean Jaurès), UT3 (Paul Sabatier), INSA et INP. Les directions de ces établissements n’ont pas perdu de temps pour passer en force sur ce projet qui avait pourtant rencontré une vive opposition en 2012 au moment de la mise en place de l’Université fédérale de Toulouse suite à la loi Fioraso. Une « feuille de route » a été envoyée aux personnels le 5 janvier et les CA valident le processus de mise en place du nouvel établissement le 16 janvier à Paul Sabatier et le 24 janvier à Jean Jaurès. Pourquoi tant d’empressement au mépris de tout débat contradictoire ?
Les gestionnaires de l’Université n’ont plus que cela à la bouche. La recherche est en pleine mutation. 5 ou 6 pôles d’excellences de rang mondial vont émerger au niveau national pour lutter dans la concurrence internationale. Il faut en être par tous les moyens.
Pour cela, l’indicateur utilisé est le « classement de Shanghai » qui mesure la valeur de chaque Université via notamment les publications scientifiques de chaque site. Paul Sabatier se place autour de la 250e place et la Toulouse School of Economics autour de la 270e place. L’enjeu serait donc de remonter dans ce classement.
En fusionnant les établissements toulousains, les résultats scientifiques s’additionneraient et le site toulousain passerait mécaniquement à la 100e place. Le label IDEX, ajouté à un meilleur classement, sont sensés attirer les meilleurs chercheurs au monde qui fuiraient la ville rose si le label n’était pas récupéré.
Mr Fuchs, président du CNRS, aurait par ailleurs menacé la présidence de l’Université Paul Sabatier de désengager le CNRS de la région si la fusion des Universités dans un grand établissement n’était pas mise en place. Difficile à imaginer quand on sait que Toulouse est le deuxième Pôle du CNRS après Paris !
Tous ces raisonnements semblent pourtant bien alambiqués. Tout d’abord, l’IDEX représente 25 millions d’euros par an de gain pour le site toulousain contre plus d’un milliard de budget total. C’est une somme extrêmement faible ! Ensuite, l’attractivité scientifique d’un site ne peut être résumée à un label ou une meilleure place dans le classement de Shanghai. Ce que souhaite un chercheur, c’est avant tout avoir les moyens matériels, financiers et humains, de faire de la recherche de qualité libérée des contraintes économiques et politiques. Pour cela, il faut libérer des crédits, ce qui apparaît très compliqué dans l’état actuel des choses où les budgets sont contraints et ne permettent pas de développer le service public d’enseignement supérieur et de recherche de façon satisfaisante.
Pourtant, c’est bien cela le but réel de la fusion : récupérer de l’argent pour développer la recherche dite d’excellence et surtout l’innovation dans le cadre d’un budget qui, lui, est fixe. Comment et sur le dos de qui ces marges budgétaires vont être effectuées ?
Pour récupérer l’IDEX, il faut donc fusionner les établissements et abandonner le modèle fédéral pour aller vers un grand établissement. Mais sur les 4 établissements concernés (UT2, UT3, INP et INSA) seuls Paul Sabatier et Jean Jaurès sont d’accord pour se dissoudre totalement et fusionner. C’est ce que l’on appelle la perte de personnalité juridique. Les ressources humaines, les flux financiers, les grandes orientations scientifiques, la création et la délivrance des diplômes seront communs aux deux sites et dirigés par un Conseil d’Administration du nouvel établissement de 23 membres dont seulement 12 seront élus (6 EC, 3 BIATTS, 2 étudiants).
Mais comme l’INSA et l’INP refusent de se dissoudre et que leur présence dans l’établissement est indispensable pour récupérer l’IDEX, la structure juridique du nouvel établissement ne peut pas être une Université pour associer les écoles d’ingénieurs en question. Le choix est fait de déroger au code de l’éducation et la nouvelle « Université de Toulouse » ne sera plus… une Université ! Cette dérogation est possible par arrêté ministériel, ce qui ne pose aucun problème puisque le gouvernement encourage cette solution.
Cela entraîne des conséquences très graves, notamment pour les étudiants. Le code de l’éducation garanti le plafonnement des frais d’inscription et les conditions d’entrée à l’Université. Y déroger entraîne la possibilité localement d’augmenter les frais d’entrée comme d’instaurer la sélection en licence. Les présidences actuelles ont beau dire que des garanties sur ces deux points pourront être inscrites dans les statuts de l’établissement, la menace sera permanente. Et on sait bien qu’il est plus facile d’imposer de tels reculs à l’échelle d’un établissement qu’à l’échelle nationale. C’est une attaque sans précédent !
L’Université Jean Jaurès (ex-Mirail) est passée en 2009 aux compétences élargies. Paul Sabatier en 2010. C’est l’application de la Loi LRU qui fait que chaque Université gère son budget, y compris la masse salariale. A budget constant, ce mode de gestion s’est avéré dramatique pour les finances des établissements. La masse salariale augmentant chaque année du fait du glissement-vieillesse-technicité, le budget restant pour le fonctionnement est en constante diminution. C’est ce qui explique le plan de suppression de 250 postes récemment voté à Paul Sabatier.
Malgré ce plan, les difficultés budgétaires restent et le besoin de restructurer est pressant pour les directions. Le chantage à la fusion est en fait une aubaine car nul doute dans les années à venir que les mutualisations vont aller grandissantes, notamment entre UT2 et UT3. Les économies seront principalement faites par des suppressions de postes.
Dans la même logique, les enseignements vont être rationalisés et les doublons entre les deux sites seront remis en cause. Pourquoi continuer à faire des cours de maths à Jean Jaurès ou des cours d’anglais à Paul Sabatier ? Les étudiants seront amenés à passer d’un site à l’autre avec un temps perdu dans les transports en communs qui va exploser.
Nous dénonçons le processus de fusion en cours. La logique dans laquelle elle se place (favoriser l’excellence au détriment d’un service public d’enseignement supérieur de qualité, ouvert à toutes et tous), comme le contexte (pénurie budgétaire) ne pourront qu’entrainer des effets délétère sur les personnels comme sur les étudiants.
C’est un effet supplémentaire de la LRU et de la Loi Fioraso. Il faut retirer ces lois. Il faut un réengagement financier massif dans le secteur pour développer des enseignements et une recherche de qualité, libérés de tout impératif de rentabilité.
Seule la mobilisation des personnels et des étudiants permettra de changer la donne. Le premier rendez-vous de mobilisation sera ce mardi 24 janvier à 9h devant le Conseil d’Administration du Mirail.
Sylvain Pyro