Pierre Granet, 8 Août 2015
Qui peut croire à la fable d’une « entrée en guerre de la Turquie contre Daesh » ?
Le lundi 20 juillet, à Suruç, la police turque a gazé la population et les ambulances venues porter secours aux victimes de l’attentat suicide attribué à Daesh. Le soir même, partout en Turquie, à Istanbul particulièrement, les manifestations de solidarité avec les 32 victimes décédées et la centaine de blessé-e-s, des jeunes socialistes venu-e-s aider à la reconstruction de Kobanê, ont été dispersées par gaz lacrymogènes, canons à eau et balles en plastique. Et, les jours suivants, même les cortèges funèbres portant en terre les victimes de l’attentat ont été attaqués par la police d’Erdogan. La rafle policière « anti-terroriste », qui se poursuit depuis, vise les militant-e-s de la cause kurde et les organisations socialistes de Turquie : sur 1 500 arrestations, 20 sympathisants de Daesh ! Tous libérés…
Depuis le 24 juillet, l’aviation militaire turque survole le Rojava (le Kurdistan syrien), pilonne pour la forme quelques dépôts d’armes de Daesh, et s’en prend aux forces combattantes kurdes, les YPG/YPJ. Elle bombarde nuit et jour les villages kurdes de la montagne de Qandil, base de la guérilla des HPG, forces combattantes du PKK, au Sud-Kurdistan (en Irak, dont elle viole impunément l’espace aérien, sans que l’ONU y trouve à redire). Le 1er août, ce sont 5 civils, dont une femme enceinte, qu’elle a assassinés dans le village de Zergêle, et 10 autres gravement blessés.
Depuis le 5 avril, le dirigeant historique du PKK, Abdullah Öcalan, condamné à la prison à vie, est maintenu au secret dans sa cellule d’Imrali. Erdogan a rejeté sa proposition de poursuivre les pourparlers de paix, entamés en 2013, formulée le 21 mars dernier, lors du Newroz, la fête nationale kurde. Il menace de prison les co-présidents du HDP, Selahattin Demirtas et Figen Yüksekdag, et de lever l’immunité parlementaire de ses 80 député-e-s élu-e-s le 7 juin dernier, avec plus de 13 % des voix.
Pendant les 134 jours du siège de Kobanê par Daesh, la police et l’armée turques ont bloqué la frontière turco-syrienne, empêchant les Kurdes de la franchir, mais autorisant les djihadistes pro-Daesh d’aller et venir…
Après l’attentat terroriste contre Charlie Hebdo, le 7 janvier dernier, le gouvernement turc a interdit aux journaux de publier les dessins des caricaturistes assassinés. Les journalistes du Cumhuriyet, qui ont passé outre cette interdiction, ont reçu des menaces de mort. Pire, la municipalité AKP (le parti d’Erdogan) de la ville de Tatyan, dans l’est de la Turquie, a apposé une affiche de soutien aux frères Kouachi !
Le terrorisme de l’Etat turc contre le mouvement de libération kurde est pourtant avéré. Le MIT (les services secrets trucs) a été le commanditaire de l’assassinat de Sakine Cansiz (dirigeante historique, fondatrice du PKK en 1978), Fidan Dogan (Rojbin) et Leyla Soylemez, le 10 janvier 2013 au Centre culturel kurde de Paris. Ce sont les conclusions du parquet dans ses réquisitions à l’encontre de l’assassin présumé, Ömer Güney, dont les liens avec les Loups gris, milice ultranationaliste fasciste du MHP sont établis. Son procès, longtemps retardé à cause de Le Drian, ministre de la défense, qui a opposé le secret défense au versement au dossier des notes des services secrets français attestant les liens entre Güney et le MIT, aura lieu à l’automne.
La complicité active du gouvernement et du président turcs avec Daesh, leur recours au terrorisme d’Etat, les diplomates français en Turquie et les services de police et de justice en France en ont prévenu Laurent Fabius et François Hollande de longue date. Le président en a eu confirmation le 8 février dernier quand il en a été informé de vive voix, ayant reçu, à l’Elysée, Asya Abdulla, la co-présidente du PYD (le parti kurde du Rojava, en Syrie) et Nasrin Abdellah, la co-commandante des YPG/YPJ.
Cela ne les a pas empêchés d’apporter leur soutien « aux autorités turques » (Fabius, le 20 juillet, sur le site Internet du ministère des affaires étrangères), et de réaffirmer leur « détermination à lutter contre toutes les formes de terrorisme [et] renforcer la coopération entre la France et la Turquie » (Hollande, le 27 juillet, sur le site officiel de l’Elysée)… Cela ne les a pas empêchés de contresigner la déclaration de l’OTAN du 28 juillet qui affirme sa « forte solidarité » avec la Turquie. « L’accord total, unanime, sans faille » des 28 pays membres de l’OTAN, dont la France, selon son secrétaire général, Jens Stoltenberg.
Attention, Messieurs Fabius et Hollande ! Cent ans après le génocide des Arméniens par les « autorités turques » en 1915, toujours nié par Ankara, les mêmes ingrédients sont à l’œuvre : la sainte alliance d’un état-major militaire ultranationaliste, tenté par l’extermination des Kurdes, et d’un parti politique, dit « islamiste modéré », l’AKP, qui veut gagner par la guerre ce qu’il a perdu par les élections, sa majorité absolue au parlement qui devait lui ouvrir la voie pour une réforme constitutionnelle instaurant une présidence totalitaire pour Erdogan !
Attention à ne pas miser sur la solidité du régime d’Erdogan, garant des profits des capitalistes turcs et internationaux qui investissent en Turquie pour en surexploiter les travailleurs ! Géant aux pieds d’argile, le gouvernement de l’AKP a été incapable de faire rentrer dans le rang les ouvriers métallurgistes de l’usine Renault de Bursa qui sont partis en grèves spontanées victorieuses en avril et mai derniers pour une augmentation de 60 % des salaires et la liberté de constituer leurs propres syndicats indépendants du syndicat patronal qui leur était imposé. Pour les multinationales françaises, la Turquie ne sera pas la Chine de l’Europe, comme l’avait prétendu le ministre de l’économie turc, Zafer Çağlayan, lors de sa rencontre avec des investisseurs étrangers à Londres en 2012, affirmant fièrement que « le coût du travail en Turquie est encore plus faible qu’en Chine » !
Obama, Hollande et l’OTAN ont donné leur feu vert à Erdogan pour établir une « zone tampon » à cheval sur la frontière turco-syrienne sous le contrôle de la Turquie. Les forces combattantes populaires démocratiques kurdes des YPG/YPJ et arabes de Burqan al Firat, affilié à l’ASL, qui, après leurs succès militaires à Kobanê, Hassekê et Tell Abyad (Girê Spi) contre Daesh, le menacent aux portes mêmes de son bastion, Raqqa, sont dans le collimateur d’Erdogan… Les peuples de Syrie, leurs partis et organisations démocratiques, socialistes et révolutionnaires qui se battent depuis quatre ans pour se débarrasser de la férule du dictateur Bachar al-Assad, n’accepteront jamais que le « gendarme turc » vienne remplacer Daesh et Assad sur leurs territoires où ils se sont engagés dans une révolution populaire qui a instauré l’égalité entre les femmes et les hommes. Nous nous tenons à leurs côtés. Indéfectiblement.
Puisque la présidence de la République et le gouvernement français se rendent complices de la guerre de l’Etat turc contre les Kurdes, il nous appartient, à nous, population ordinaire, de manifester encore plus notre soutien concret pour venir en aide à la population et aux résistantes et résistants de Kobanê et du Rojava :
Collecte financière pour Kobanê et le Rojava
versement en ligne peer-to-peer : firefund.net
Erdogan assassin ! OTAN et Hollande complices ! Bas les pattes au Kurdistan !
Solidarité internationale pour la reconstruction de Kobanê et le retour des réfugiés !
Ouverture d’un corridor humanitaire entre Suruç et Kobanê, avec douane à Mursitpinar !
Fourniture à la Résistance du Rojava de l’armement adéquat qu’elle réclame pour se défendre !
Reconnaissance des cantons autonomes du Rojava !
Retrait du PKK de la liste des organisations terroristes de l’Union européenne !
Libération d’Öcalan et de tous les prisonniers politiques kurdes !