Pour prolonger la vidéo, que notre camarade vidéaste (merci à elle) a montée en urgence de la participation du NPA à la manifestation, où vous entendrez les interviews de deux camarades du NPA et celle d’Andreu, militant barcelonais d’Anticapitalistes aux côtés desquels nous avons manifesté, nous livrons ci-dessous au lecteur cette « note d’ambiance », forcément partielle et partiale…
Sachez d’abord que les consignes des organisateurs de la manifestation-rassemblement, ANC et Omnium, étaient de ne pas « afficher » son appartenance politique, de porter le « llaç groc » (le ruban jaune), symbole de l’exigence de la libération des prisonnier-e-s politiques, et de ne brandir que les drapeaux catalans, dans ses trois versions, catalaniste (bandes rouges et jaunes sans signe particulier), républicaine (étoile bleue), révolutionnaire (étoile rouge). Au prime étonnement de voir nos drapeaux rouges du NPA, n’ont pourtant suivi que des « merci », « gràcies » et « gracias » et des « Visca Repùblica catalana »… Personne ne nous a demandé de plier nos oriflammes. Comme personne ne nous a demandé de remballer nos tracts et affichettes, rédigés en français, catalan et castillan (voir les pièces jointes). Au contraire, nombreuses et nombreux furent les manifestant-e-s – à venir nous les réclamer.
A ce que nous avons vu dans notre « bout » de manifestation, n’ont passé outre à cette abstention d’« affichage politique », étonnante pour nous autres, habitué-e-s aux manifestations en France où se récoltent à la pelle tracts et flyers comme les feuilles mortes en automne, que les camarades d’Anticapitalistes, avec leurs drapeaux, aussi quelques porte-drapeaux anarchistes anti-fascistes à la double bannière rouge et noire dont les hampes télescopiques rivalisaient avec celles des « estrelladas » républicaines, une banderole de Podem et un tract de Lluita Internacionalista, glané par l’un d’entre nous… Mais, peut-être qu’ailleurs, tout du long des 3,3 kilomètres de la Marina, d’autres tracts ou affiches ont été distribués ou déployées.
Les chiffres, à Barcelone comme à Paris, sont toujours sujets à controverse politique. Ça n’a pas raté cette fois-ci encore. Les grandes agences de presse internationale se sont empressées, dès 18 heures, d’annoncer 750 000 participants, le décompte officiel de la Guarda Urbana, alors qu’un bon tiers des manifestants faisaient toujours du surplace dans les rues adjacentes à celle de la Marina avant de pouvoir remonter jusqu’au podium central au carrefour de Salvador d’Espriu, soit 3,3 kilomètres d’une Marina pleine à craquer.
Pour se faire une idée la plus proche possible de la réalité de la mobilisation, lire l’article d’Antoni Morell, journaliste de VilaWeb, qui a procédé à une « étude fondée sur la surface occupée par la grande manifestation pour la libération des prisonniers politiques ». Il en conclut, pour une surface d’environ 1 250 000 m2, que ce sont 1 million à 1 500 000 personnes qui se sont rassemblées samedi à Barcelone, selon que l’on compte 4, 5 ou 6 manifestants au mètre carré.
La polémique sur les chiffres n’est pas neutre. L’ANC et Omnium ayant annoncé, avant la manifestation, que leur objectif était d’atteindre, voire de dépasser celui du million de la Diada du 11 septembre de cette année, il n’est évidemment pas indifférent de savoir s’il a été atteint.
Pour nous autres, la vingtaine d’« anticapitalistes de France », venu-e-s de Toulouse, Perpignan, Montpellier, Avignon, Marseille et Paris, nous pouvons témoigner que c’est Antoni Morell qui est dans le vrai et pas la Guarda Urbana et les médias espagnolistes qui l’ont relayée. Et c’est sans hésitation qu’entre 19 heures et 20 heures, heure officielle de dissolution du rassemblement, enfin parvenu-e-s sur la Marina, après avoir piétiné deux heures durant sur place à l’angle d’Almogavers et de Wellington, que, bénéficiant d’un cours accéléré de catalan, nous nous sommes époumoné-e-s d’un « Premsa espanyola manipuladora » (« Presse espagnole manipulatrice ») à l’unisson de la foule massée au pied d’un échafaudage d’une télévision espagnole dont la journaliste commentait en direct l’événement.
Cette manipulation de l’opinion publique par la presse unioniste espagnoliste, malheureusement parfois relayée, sans vérification auprès des hommes et femmes indépendantistes directement concerné-e-s, par des médias acquis à la cause catalane, on en a un exemple, depuis jeudi 9 novembre, avec l’insulte faite à Carme Forcadell, la présidente du Parlament, qui, prétendument, aurait capitulé lors de son audition devant la Cour suprême à Madrid. Voir sur le site du NPA 34 : « La rétractation politique de la présidente du parlement catalan est un faux ! »
La réponse de la Barcelone indépendantiste à ces fake news tenait en un mot d’ordre, régulièrement scandé : « Puigdemont és el nostre president », qui, dans les conversations, se déclinait en « Carme Forcadell és nostra presidenta del Parlament ». Cette guerre des mots, à l’écrit comme à l’oral, est de la plus haute importance, quand se lisent et s’entendent ces « Puigdemont expresident de la Generalitat » (« ancien président ») de commentateurs asservis au diktat de Madrid, mais aussi parfois sous la plume ou dans la bouche d’hommes et de femmes averti-e-s, prétendant être aux côtés des emprisonné-e-s et poursuivi-e-s par la justice d’exception post-franquiste.
Le cas, malheureusement, des « ninistes » (« ni DUI, ni 155 », qui se traduit en pratique par un renvoi dos à dos de Puigdement et de Rajoy, un renvoi dos à dos de l’opprimé et de l’oppresseur), qui pullulent de Barcelone à Bruxelles en passant par Madrid et Paris, dont la première d’entre eux et elles, Ada Colau, mairesse gauche radicale de Barcelone, qui le matin même du 11 novembre, s’est autorisée un coup de poignard dans le dos de celles et ceux dont elle exige, pourtant, la libération, en enjoignant le « govern d’irresponsables » de « donin la cara i reconeguin els seus errors » (de « tomber le masque et de reconnaître ses erreurs »), celles d’« ha enganyat la població, ha tensat la societat i ha generat un greu prejudici econòmic » (« avoir trompé la population, fracturé la société et généré un grave préjudice économique »). Rien que ça.
En français, catalan et castillan, nos camarades manifestant-e-s du jour ne mâchaient pas leurs mots pour condamner de tels propos qui renversent la charge de la preuve, tant, pour elles et eux, l’évidence crève les yeux, que c’est évidemment Felipe de Borbón et Rajoy qui portent la responsabilité première de ce que Ada Colau attribue à Puigdemont (PDECat), Junqueras (ERC) et Anna Gabriel (CUP)…
Des élections du 21-D, nous en avons aussi parlé bien sûr, avec notamment les camarades des CDR que nous avons côtoyés à l’angle d’Almogavers et de Wellington. C’est une quadrature du cercle à dépasser : participer ou non à une élection imposée par Madrid, et si on y participe sur quelles bases politiques et pour quelle liste électorale, unitaire citoyenne, large des gauches ou partidaire… Débat légitime, dont celles et ceux de la CUP que nous avons rencontré-e-s samedi nous ont dit que, partagé-e-s, indécis ou déjà convaincu-e-s de leur vote, ils et elles faisaient confiance au modalités démocratiques du scrutin interne de leur organisation qui réunissait le lendemain au palais des sports de Granollers ses adhérents pour adopter la meilleure, sinon la « moins pire » des solutions. On connaît aujourd’hui le résultat de cette consultation interne à la CUP. Voir sur le site du NPA 34.
Mais la question électorale passait au second plan. Sur place, nous avions mieux à faire : pointer du doigt ou dresser le poing en direction de l’hélicoptère de surveillance de la Police nationale à chacun de ses passages en l’invectivant d’un rageur « Fora ! força d’ocupació » (« Dehors la force d’occupation ») et, comme un pied de nez aux encore maîtres du ciel, d’un tonitruant « Els carrers sempre seran els nostres » (« Les rues seront toujours nôtres »). Et bien sûr, rythmées au tambour, chantées à pleins poumons, les paroles de L’Estaca, ce maudit poteau planté en 1714 au cœur de la Catalogne par les mercenaires espagnols de l’aïeul, Felipe V de Borbón, du chef de l’Etat d’aujourd’hui, et auquel est toujours enchaîné « grand-père Siset » le Catalan, au refrain tellement actuel :
Segur que tomba, tomba, tomba / C’est sûr, il tombera, tombera, tombera,
I ens podrem alliberar / Et nous pourrons nous libérer
Pour conclure cette note d’ambiance. La tâche de l’heure pour les démocrates, les républicains, les révolutionnaires et les anticapitalistes d’Espagne et d’Europe n’est pas, n’est plus, de regarder en arrière, de se diviser sur les « insuffisances » (certains disent les « erreurs », les plus outranciers parlent de « trahisons »), de disséquer les « occasions manquées » depuis le 1er octobre. Ce débat appartient aux militant-e-s catalan-e-s. La tâche de l’heure pour celles et ceux d’Espagne et d’Europe est de construire un front unitaire démocratique qui s’oppose aux Bourbon, à Rajoy et à l’Union européenne pour qu’ils mettent bas les pattes en Catalogne. Parce que de toutes les « insuffisances » énumérées, c’est celle de la gauche radicale dont nous sommes responsables, la responsabilité d’abandonner la révolte catalane à son combat solitaire et isolée, comme, malheureusement, les démocrates et les gauches radicale et révolutionnaire d’Europe ont laissé se battre seuls les Kurdes et le HDP face à la meurtrière répression d’Erdogan et de l’AKP depuis juin 2015…
L’occasion de ne pas être « insuffisants », d’envoyer des délégations massives de tous les partis démocratiques d’Europe, particulièrement des gauches radicale et révolutionnaire, de brandir nos drapeaux par milliers aux côtés des « estrelladas » catalanes a été ratée ce 11 novembre. L’occasion de se rattraper va se renouveler le 7 décembre… à Bruxelles, où des milliers d’indépendantistes catalan-e-s sont bien décidé-e-s, à l’appel de l’ANC et d’Omnium, de manifester pour adresser un triple message à « l’Union européenne et au monde » : « obtenir la liberté des prisonniers, récupérer les institutions et construire la république ». Ne la loupons pas.
Pierre Granet, Toulouse, le 13 novembre