Dans une perspective de lecture nationale des élections nous commencerons par dire que le Parti Populaire (droite conservatrice) a obtenu la majorité (relative des voix) des voix et des députés avec 7,2 millions de voix* et 123 députés, soit 28,72 %, ce qui signifie une baisse de 3 millions 600 mille voix et 63 députés. Le Parti Socialiste a à son tour récolté un peu plus de 5,5 millions de voix et 90 députés, soit 22,02 % de voix. Il subit ainsi la perte de presque 1,5 millions d’électeurs et 20 députés au parlement.
La nouveauté dans ces élections est l’entrée au parlement de Podemos et de Ciudadanos. Podemos est désormais la troisième force au parlement avec 69 députés et 5,2 millions de voix (20,66 %). Ciudadanos finit avec 40 députés, 3,5 millions de voix, soit presque 14 % des voix.
Enfin, l’Unité Populaire, qui regroupe notamment Izquierda Unida, parti de la gauche unie, a recolté 923000 voix (3,67 %), soit une baisse de presque 700000 voix (et 9 députés) ; et comptera avec 2 députés au parlement espagnol.
La participation aux élections a été de 73,2 % soit 1,5 % de plus qu’aux dernières élections en 2011.
Nous nous trouvons face une situation qui pourrait être considérée comme la mort du bipartisme espagnol. Aucune des deux grandes forces traditionnelles de ce bipartisme (PP et PSOE) est en mesure de former un gouvernement à elle seule. Ce résultat témoigne d’abord de l’échec d’une recomposition de la droite. Bien que les sondages indiquaient un résultat important de la part de Ciudadanos (jusqu’à 22 % des voix il y a dix jours), ce parti a obtenu des résultats qui sont bien maigres par rapport aux estimations. Cela implique aujourd’hui une grande difficulté pour Mariano Rajoy de constituer un nouveau gouvernement. Ciudadanos a toutefois réussi à avoir une percée dans ces élections, mais l’addition des députés de Ciudadanos à ceux du PP n’assure pas une majorité absolue pour gouverner. De son coté, le PSOE n’a pas réussi à se constituer comme la principale force en opposition au gouvernement de droite et s’enfonce dans la crise dans laquelle il se trouve depuis les années 2010-2011. Enfin, le fait que Podemos ait obtenu 20,66 % donne un grand espoir pour les classes populaires en Espagne. Il s’agit d’une première dans l’histoire politique espagnole qu’un parti atteint. Ce score est le résultat de l’addition des voix dans les circonscriptions où Podemos s’est presenté seul et celles où ce parti a participé dans des candidatures de confluence populaire et/ou de coalition. Il est important de noter les processus de confluence qui se sont produits en Catalogne et en Galice, qui ont rapporté 12 et 6 députés respectivement et qui se sont construites sur le même modèle que les candidatures d’unité populaire aux élections municipales (qui, rappelons-le, ont permis d’obtenir le mairies de Barcelona et Badalona en Catalgone ainsi que les mairies de A Coruña et Santiago de Compostela en Galice). Un des résultats significatifs de cette construction de la campagne électorale est que « l’anneau rouge » autour de Barcelone (faisant référence aux importants scores que le PSOE a traditionnellement obtenu dans la périphérie de Barcelone) soit devenu un « anneau violet ». Dans la région de Valence, Podemos s’est présenté sous une coalition avec Compromis, parti de gauche de cette région qui a remporté la mairie de Valence aux dernières élections. Cette coalition a obtenu 9 députés.
Cette percée électorale ouvre une brèche importante dans le scénario politique espagnol. Malgré les avancées, reculs et contradictions dans la construction politique de la campagne de Podemos, cette organisation est aujourd’hui la troisième force politique dans l’État espagnol tout en ayant réussi à articuler : un profil de défense des classes populaires, l’esprit du mouvement du 15M (mouvement des indignés) et la mouvance des candidatures d’unité populaires aux élections municipales du mois de mai.
Et maintenant... ?
Comme des camarades d’Anticapitalistas le disaient le lendemain des élections régionales du mois de mai : il ne suffira d’un coup électoral, d’un « efecto podemos » pour gagner (même si ce n’est qu’électoralement). Le système politique-institutionnel espagnol a des bases bien plus robustes pour garantir sa stabilité. En ce sens, pour que le résultat électoral dépasse sa dimension institutionnelle il sera essentiel que « cette fragmentation institutionnelle soit accompagnée d’un nouveau désordre des rapports sociaux »[1]. Dans le cas échéant « le changement deviendra une simple recomposition des positions parlementaires, un nouvel équilibre ». Désormais, il ne s’agira que « d’entrer dans les institutions, mais d’éviter que la politique se fasse seulement en leur sein ». Pour cela les tâches premières pour Podemos seront d’empêcher qu’un nouveau gouvernement de droite puisse se concrétiser tout en évitant une légitimation du PSOE comme alternative légitime. Cet enjeu est essentiel afin d’éviter « que la mouvance anti-PP noie la mouvance anti-régime politique », mouvance qui marque aujourd’hui les points de rupture du système politique espagnol. La première tâche qui nous concerne à court terme est de construire un front par en bas, aussi avec les militants de Izquierda Unida, afin de renforcer non pas Podemos mais les mouvances plus radicales qu’aujourd’hui s’expriment à travers du vote pour Podemos. Il s’agira de matérialiser la réactivation de cet esprit du 15M qui s’est produite durant la campagne électorale, dans le sens où le rapport de forces favorable pour les classes populaires ne se vérifiera pas dans la négociation de meilleures conditions avec le PSOE pour une possible investiture mais dans son expression dans la lutte sociale. Et c’est en ce sens là aussi où les expériences en Galice et en Catalogne peuvent être révélatrices.
Mats (camarade espagnol du NPA 31)
21 décembre 2015
* La différence entre le nombre de voix et le nombre de députés est dû au système de comptage appliqué dans l’État espagnol qui se base sur la Loi d’Hondt. Ce système établit la répartition des députés non pas à la proportionnelle par rapport aux votes obtenus mais au plus grand reste. Il s’agit d’un système introduit juste après la dictature de Franco dans la Constitution de 1978 et qui visait notamment d’empêcher des situations d’instabilité politique. En appliquant la loi d’Hondt, la possibilité pour les partis de gauche d’obtenir des députés dans les circonscriptions rurales (traditionnellement plus conservatrices) devient une mission très difficile. Dans la pratique ce sont le PSOE et surtout le PP qui ont bénéficié de ce système. A la proportionnelle cela aurait donné en termes de députés : PP 104, PSOE 79, Podemos (& confluences) 73, Ciudadanos 50, Izquierda Unida 13, autres 31.